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rien n’est plus incertain que la formation du ministère dont l’utilité sera débattue à la tribune. L’idée de faire reposer la responsabilité des affaires de l’Algérie sur la tête d’un homme spécial, engagé devant l’opinion et devant le parlement auquel il appartiendrait, est fort spécieuse sans doute, et elle a été accueillie d’abord avec une faveur véritable ; mais, lorsqu’on passe à la pratique, les objections et les difficultés naissent en foule. Comment distinguer les attributions du ministère de l’Algérie de celles du ministère de la guerre ? Dans une colonie où l’armée est aussi nombreuse que la population civile, puisqu’elle compte 100,000 hommes, est-il possible de placer cette force immense sous une autre direction que celle de son chef naturel ? Qui décidera des expéditions militaires et des plans de campagne ? Qui conservera le droit de présider à l’administration indigène sur les territoires arabes ? Qui appréciera en dernier ressort les opérations, l’attitude et la conduite des chefs de corps chargés de la perception de l’impôt ? De qui ces chefs recevront-ils des ordres, et comment distinguer entre l’administration des territoires indigènes et la direction des opérations militaires, qui exercent une si grande influence sur le gouvernement proprement dit ? Ce sont là des obstacles sérieux, car on ne parviendrait à les lever que par un accord à peu près impossible. Nos colonies transatlantiques n’empruntaient que quelques milliers d’hommes à l’armée de terre, et pourtant les difficultés étaient devenues si fréquentes, qu’on a senti le besoin d’organiser pour ce service une armée spéciale affectée à la marine, et dont le personnel dépend exclusivement du chef de ce département. Ne faudrait-il pas, à bien plus forte raison, eu venir là lorsqu’il s’agirait d’une armée qui représente le tiers des ressources militaires de la France ?

D’ailleurs, n’y aurait-il pas des inconvéniens d’un autre ordre à placer en quelque sorte l’Algérie hors du droit commun de la monarchie par l’institution permanente d’un ministre spécial ? Ne serait-ce pas recommencer la faute de l’Angleterre, qui a aussi pour l’Irlande un secrétaire d’état particulier ? Il est hors de doute que notre naissante colonie ne peut aspirer de long-temps à la plénitude des droits constitutionnels, et il faut y former une population forte et compacte avant de l’appeler à la vie politique ; mais n’y aurait-il pas avantage à donner dès aujourd’hui certaines attributions à divers départemens ministériels, en mettant le gouverneur-général en communication directe avec eux ? Pourquoi le ministre de la guerre ne conserverait-il pas la haute direction des affaires militaires en Algérie, pendant que le ministre des finances et le ministre des travaux publics demeureraient chargés des concessions de terre, des grands travaux d’utilité générale nécessaires pour assainir le territoire et lui donner toute sa valeur ? Ne serait-il pas plus utile au présent et à l’avenir de la colonie de subdiviser cette grande tâche que de la concentrer ? Ceci peut faire naître des doutes graves, et l’on conçoit la perplexité des meilleurs esprits en face d’un pareil problème.

On croit généralement que M. le duc d’Aumale sera appelé, dans notre nouvelle France, à une situation éminente. De l’aveu des hommes les plus compétens, ce prince connaît l’Afrique à fond, et la haute intelligence qu’il a déployée dans l’administration de la province de Constantine lui créerait un titre supérieur encore à celui que peut lui donner sa naissance. La présence d’un fils du roi serait une garantie pour tous les intérêts civils et exercerait peut-être sur l’esprit