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ordinaires, indispensables dans leur département, et de voir frapper d’exclusion les receveurs-généraux, autorisés à déléguer tous leurs pouvoirs, et que le mouvement des grandes affaires attire et retient sans nul inconvénient à Paris ? N’y a-t-il pas quelque anomalie à autoriser un président de tribunal à se faire élire dans son propre ressort, lorsqu’on déclare inéligible le procureur-général dans toute l’étendue de la cour qu’il dirige ? Quoi qu’il en soit, aux incompatibilités légales prononcées en 1832, l’usage en avait ajouté de plus utiles peut-être. En supprimant les directions générales, le nouveau gouvernement avait implicitement décidé que les directeurs d’administrations cesseraient d’être hommes politiques, ainsi qu’ils l’avaient été sous la restauration. A l’intérieur, le service des beaux-arts ; aux affaires étrangères, les importantes directions des affaires politiques et commerciales ; à la justice, celles des affaires civiles et criminelles ; aux finances, les services des postes, des douanes, des forêts, des contributions directes et indirectes, de la comptabilité, du contentieux et de la dette inscrite, furent remis aux mains d’hommes spéciaux, arrivés au premier rang, et assurés d’y rester jusqu’au jour d’un repos honorablement acheté.

M. le baron Louis et M. Humann, qui ont laissé, l’un et l’autre, au ministère des finances, des souvenirs de fermeté, maintinrent cet état de choses autant que cela leur fut possible, et pendant long-temps M. Calmon seul continua d’appartenir à la haute administration et à la chambre ; mais les ambitions parlementaires ne tardèrent pas à s’emparer des positions que la loi ne défendait pas contre leur influence. La direction générale des forêts passa successivement à MM. Bresson et Legrand (de l’Oise) ; puis, lorsque la mort eut frappé M. Pasquier, directeur des tabacs, et M. Jourdan, directeur des contributions directes, leur succession fut disputée et conquise par des députés, reconnus désormais seuls candidats possibles. Chacun sait qu’en ce moment le contentieux est promis à tel membre de la chambre qu’on pourrait désigner, que tel autre aspire à la dette inscrite, lorsque le titulaire actuel, M. Delair, sera appelé à la chambre des pairs, où il aspire à siéger. La direction des postes est moins défendue, à l’heure qu’il est, par la haute influence qui a si long-temps maintenu M. Conte, que par les rivalités parlementaires qui se disputent la satisfaction de loger à l’hôtel Jean-Jacques Rousseau. Plusieurs engagemens, trop connus du public, sont pris pour le conseil d’état, et les vacances éventuelles y sont d’avance escomptées.

Peut-être aurait-il été possible d’éviter l’extrémité à laquelle la force des choses conduira nécessairement bientôt et le gouvernement et les chambres ; peut-être plus d’énergie et de prévoyance aurait-il permis, aux divers cabinets qui se sont succédé depuis quinze ans, de couper le mal dans sa racine. S’ils avaient considéré, d’une part, les besoins du service, de l’autre la nécessité de maintenir le personnel des bureaux dans l’étroite dépendance des ministres, ils auraient pu opérer, par de simples décisions ministérielles, ce qu’il s’agit de faire aujourd’hui par la solennelle autorité de la loi. Il eût été fort légitime de mettre certaines catégories de fonctionnaires en demeure d’opter entre la vie politique et leurs fonctions administratives, et, si de tels usages s’étaient établis et maintenus, le pouvoir aurait acquis le double avantage d’effectuer lui-même une réforme utile, et d’empêcher qu’elle ne se fit plus tard contre lui.

Il en est de cette question comme de toutes celles de ut, la, solution est, inévitable.