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REVUE MUSICALE




On se souvient de l’immense succès qu’obtint l’année dernière la symphonie du Désert, succès légitime, qui trouva peu de contradicteurs et n’étonna personne, si ce n’est peut-être M. Félicien David, qui, hier encore inconnu, se réveillait illustre et passait en un moment, et comme par l’effet d’un rêve, du silence de son obscurité au milieu du vacarme éblouissant de la gloire la plus carillonnée. Je le répète, ce grand et rapide succès ne surprit personne ; la symphonie du Désert réussit et devait réussir pour vingt raisons qu’il eût été facile d’expliquer à l’avance. D’abord, il y avait dans cette enfilade d’idées, de fragmens d’idées agréablement cousus à la suite les uns des autres, dans ces rhythmes inusités, dans ces motifs qui s’égrenaient comme les perles d’un collier de sultane, je ne sais quelle enivrante influence du sensualisme oriental, quelle originalité pleine de charme et de séduction. Ensuite, avouez que la chose arrivait à propos, et que jamais instant ne fut mieux choisi pour venir nous chanter le désert. Depuis la conquête de l’Algérie, la France ne détourne guère ses yeux de cette terre du croissant et des caravanes, et, pour tant de sang qu’elle nous a bu, ce ne serait pas trop qu’elle nous rendît un peu de poésie. Déjà mainte révélation nous en était venue, déjà nous avions eu les Orientales de Victor Hugo et les peintures de Delacroix ; la musique seule semblait exclue de ce riche partage, lorsque parut la symphonie de M. Félicien David. Reviendrons-nous sur cette œuvre remarquable ? dirons-nous tout ce qu’il y avait de fantaisie poétique, d’amoureuse rêverie, dans ces phrases de courte haleine, qui, trois et quatre fois reprises, puisaient dans leur monotonie même une langueur, une volupté nouvelle ? Jamais, en musique, le sentiment du pittoresque ne fut porté plus loin : point d’abstraction, point de métaphysique, mais en revanche beaucoup de couleur et de vie, des tons crus et chauds, de la peinture pour les oreilles ; rien de cette nature idéale de Beethoven, rien de ce vague paysage