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le premier, qui ne nous paraît grave à distance qu’à cause de son titre de magistrat et de sa Chronologie, mais qui était certes le plus dameret des historiens et l’homme de Paris qui soupait le plus[1], se trouvait être avec cela un homme vraiment d’esprit, et la préface de son François II fait preuve de beaucoup de liberté d’idées. Il eut d’ailleurs la justesse de reconnaître tout d’abord que, dans ce genre mixte, où l’auteur n’est ni franchement poète dramatique ni historien, mais quelque chose entre deux, on pouvait très bien réussir, sans qu’il y eût pour cela une grande palme à cueillir au bout de la carrière : l’auteur n’a devant lui, disait-il, ni la gloire des Corneille, ni celle des Tite-Live. Or, c’est un inconvénient toujours de s’exercer dans un genre qui, n’étant que la lisière d’un autre ou de deux autres, reste nécessairement secondaire, qui ne se propose jamais le sublime en perspective, et qui ne permet même pas de l’espérer. Il ne serait pas impossible, nous le croyons, d’arriver à donner le sentiment réel, vivant et presque dramatique de l’histoire, par l’excellence même du récit, et, au besoin, les belles pages narratives par lesquelles M. Vitet a comblé les intervalles de sa trilogie nous le prouveraient. Ajoutons qu’il n’a pas moins montré tout ce que le genre intermédiaire pouvait rendre, et qu’il l’a poussé à sa limite d’ingénieuse perfection dans la seconde surtout de ses pièces, les États de Blois.

Au discours du récipiendaire, l’un des plus élevés et, des plus généreux qu’on ait entendus, M. le comte Molé a répondu, au nom de l’Académie, avec le goût qu’on lui connaît. Cette faveur du public à laquelle il est accoutumé et qui avait accueilli avidement son précédent discours, qui avait comme saisi ce discours au premier mot, si bien que c’était à croire (pour employer l’expression du moment) qu’on venait de lâcher l’ écluse, — cette faveur ne lui a point fait défaut cette fois sur une surface plus unie et dans des niveaux plus calmes. M. Molé a cru à propos de commencer par quelques considérations sur la puissance de l’esprit en France, et il a trouvé à cette puissance des raisons fines. Lorsqu’il a ensuite abordé son sujet, on a senti, à la façon dont il l’a traité, qu’il aurait pu même ne point chercher d’abord à l’élargir. Il a rendu au talent et aux œuvres de M. Vitet une éclatante et flatteuse justice. A un moment, lorsqu’il a dit, par allusion à M. Soumet, qui avait été auditeur sous l’empire : « L’Empereur n’eût pas manqué sans doute de vous nommer auditeur, » il a fait sourire le récipiendaire lui-même. On aurait à noter d’autres mots gracieux. M. Vitet a donné sur les jardins une

  1. On sait les vers de Voltaire. — Voir encore sur lui le jugement de d’Alembert et ses propres lettres dans le volume intitulé : Correspondance inédite de madame Du Deffand (2 vol., 1809 ) ; l’opinion de d’Alembert sur le président s’y peut lire au tome I, pages 232 et 251.