Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être un peu en éloges généraux, en hommages traditionnels, mais ils gagneraient en originalité ; ils se graveraient dans les mémoires de manière à ne s’y plus confondre avec personne, et, quand ils sont surtout de la nature de M. Soumet, en les connaissant mieux, on ne les en aimerait que davantage.

Puisque je viens de citer Martial, je le citerai encore ; j’y pensais involontairement, tandis qu’on célébrait et (qui plus est) qu’on récitait avec sensibilité les vers touchans de la Pauvre fille ; ce n’est qu’une courte idylle, et voilà qu’entre toutes les œuvres du poète elle a eu la meilleure part des honneurs de la séance. Martial, s’adressant à un de ses amis qui préférait les grands poèmes aux petites pièces, lui disait : « Non, crois-moi, Flaccus, tu ne sais pas bien ce que c’est que des épigrammes[1], si tu penses que ce ne sont que jeux et badinages. Est-il plus sérieux, je te le demande, ne se joue-t-il pas bien davantage, celui qui vient me décrire le festin du cruel Térée ou la crudité de ton horrible mets, ô Thyeste !… Nos petites pièces, au moins, sont exemptes de toute ampoule ; notre muse ne se renfle pas sous les plis exagérés d’une creuse draperie. — Mais, diras-tu, ce sont pourtant ces grands poèmes qui font honneur dans le monde, qui vous valent de la considération, qui vous classent. — Oui, j’en conviens, on les cite, on les loue sur parole, mais on lit les autres :

« Confiteor : laudant illa, sed ista legunt. »


Ainsi, qu’a-t-on lu l’autre jour ? qu’a-t-on récité ? L’humble et touchante idylle de 1814. Le poète eût-il été satisfait ? Je n’ose en répondre : « Vous louez douze vers pour en tuer douze mille, » ne put-il s’empêcher de dire un jour à quelqu’un qui revenait devant lui avec complaisance sur cette idylle première ; il disait cela avec sourire et grace, comme il faisait toujours, mais il devait le penser un peu. Que son ombre se résigne pourtant, qu’elle nous pardonne du moins si ces quelques vers de sa jeunesse sont restés gravés préférablement dans bien des cœurs.

Le fait est que M. Soumet a eu plus d’une manière : la première atteignit son plein développement dans Saül et dans Clytemnestre ; la seconde, de plus en plus vaste et qui se ressentait des exemples d’alentour, qui y puisait des redoublemens d’émulation et des surcroîts de veine, ne se déclara en toute profusion que par la Divine Épopée. On ne l’apprécierait exactement qu’en se permettant de détacher et de discuter quelques-uns des brillans tableaux dont elle est prodigue. Malgré les différences extrêmes dans le degré de croissance et d’épanouissement, une

  1. Prenez épigrammes, non dans le sens particulier de Martial, mais dans le sens plus général de petites pièces, y compris les idylles, comme les anciens l’entendaient d’ordinaire.