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de la manière la plus heureuse, et d’autant mieux que la solution en a été toute pacifique. C’était là une difficulté de plus dans la disposition d’un public en éveil, qui n’aime rien tant qu’à voir la politesse relevée de malice, et qui s’accoutumerait volontiers à en aller chercher des exemples à l’Académie, sauf à doubler la dose et à faire l’étonné en sortant. Mais ce même public, s’il aime un grain ou deux de malice, goûte encore plus la diversité ; et pour lui, l’accord, quand il est juste, peut aussi avoir son piquant.

Le discours de M. Vitet a été large, brillant, facile, d’une ordonnance lumineuse ; les parties en sont aisément liées, et le tout semble disposé de telle sorte que l’air et le jour y circulent. L’orateur a été ample, ce qui n’est pas la même chose que d’être long ; sous l’élégance de l’expression et le nombre de la période, il a fait entrer toutes les pensées essentielles, et la bonne grace de la louange n’a mis obstacle dans sa bouche à aucune réserve sérieuse. Empêché par les lois même de la célébration et de la transformation académique de serrer son sujet de trop près, l’ayant toujours en présence, mais à distance, il s’est élevé sans en sortir. Il a rassemblé et distribué ses remarques critiques par considérations générales, il les a laissé planer en quelque sorte. Dans son morceau sur l’influence méridionale, sur la sonorité harmonieuse et un peu vaine de la langue et de la mélopée des troubadours, dans les hautes questions qu’il a posées sur les conditions d’une véritable et vivante épopée, dans sa définition brillante et presque flatteuse du peintre exclusif et du coloriste, il s’est montré un juge supérieur jusqu’au sein du panégyrique, et en même temps la plus religieuse amitié n’a pas eu un moment à se plaindre ; car, s’il a eu le soin de maintenir et comme de suspendre ses critiques à l’état de théorie, il a mis le nom à chacun de ses éloges.

M. Soumet en méritait beaucoup en effet. Poète d’un vrai talent, doué par la nature de qualités riches et rares, amoureux de la gloire immortelle et capable de longues entreprises, il ne lui a manqué peut-être au début qu’une de ces disciplines saines et fortes qui ouvrent les accès du grand par les côtés solides, et qui tarissent dans sa source, et sans lui laisser le temps de grossir, la veine du faux goût. Je ne me risquerai pas à repasser en ce moment sur des traits qui ont été touchés à la fois avec discrétion et largeur. Il n’y aurait, après tout ce qui a été dit, qu’une manière de rajeunir le sujet, ce serait de le prendre d’un peu près et de l’étudier plus familièrement. Sans doute, et c’est là un des signes les plus distinctifs de M. Soumet, il était et il restait poète en toute chose ; cette noble passion des beaux vers, qu’on a si bien caractérisée en lui, ne le quittait jamais ; elle faisait son enchantement au réveil, son entretien favori durant le jour, elle embellissait jusqu’à ses songes, et on aurait pu appliquer à cette vie toute charmée et enorgueillie des, seules muses le vers de Stace comme sa devise la plus fidèle :