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et le débat singulièrement posé. M. de Schelling perdit son procès à Darmstadt d’abord, et ensuite à Berlin, malgré l’intervention presque manifeste du plus illustre de ses admirateurs, du roi lui-même ; il fallait qu’il eût bien tort. Ç’a été un fâcheux spectacle de voir ces deux nobles vieillards aux prises sur cette question de doctrine devenue si malencontreusement une question de police commerciale. M. Paulus n’était pas homme à reculer ; peut-être prépare-t-il déjà d’autres batailles, et ce ne sont plus en vérité des batailles d’érudit hébraïsant, ce n’est plus de la science pour la science, le but est changé. Il est curieux de lire ce qu’un théologien qui date pourtant d’un autre âge écrivait en tête de cette polémique d’hier. — S’il descendait encore une fois dans l’arène malgré le fardeau des années, c’était pour accomplir son devoir de citoyen. On s’appliquait maintenant à justifier, par de pompeuses théories, des dogmes surnaturels que les princes et les puissans du monde voulaient transformer en croyance obligatoire par pure raison d’état. Or, c’était aux puissans et aux princes qu’il s’adressait du sein de sa retraite ; il les priait de considérer que le fondement le plus scabreux de cette unité germanique dont ils rêvaient la gloire, c’était précisément l’autorité de cette église universelle qu’ils tâchaient d’établir ; il saurait bien leur prouver qu’aujourd’hui toute église, une fois acceptée comme infaillible, s’imposerait comme maîtresse absolue, choisirait les siens, excluerait les uns pour embrasser les autres, et diviserait au lieu de rallier ; il n’ignorait pas que les cabinets tenaient d’ordinaire l’habitude de la foi mystique pour une sûre garantie de l’obéissance des sujets ; était une maxime de gouvernement que le peuple devait avoir une religion, n’importe laquelle, pourvu qu’il en eût une. La maxime lui était également précieuse ; mais il attendait alors que l’on enseignât la religion du devoir, cette fleur du christianisme primitif gravée dans toutes les consciences, et non plus seulement la religion des miracles et des mystères, éternel sujet de discussion parmi les hommes.

C’est là le langage d’un théologien de l’ancienne école ; je laisse à penser celui des politiques de profession, de M. Welker, par exemple, que je rencontrai aussi à Heidelberg. L’émule, le compagnon de M. de Rotteck, dans sa carrière trop tôt terminée de publiciste et d’orateur, M. Welker, est maintenant l’un des vétérans du parti libéral et peut-être le plus éprouvé. Destitué de ses fonctions de professeur, frappé d’amendes et de confiscations, poursuivi devant les tribunaux à chaque livre qui sort de sa plume, menacé par les embûches secrètes de la police, il a blanchi sous le harnais sans quitter la place. Sa parole est restée jeune et vibrante ; on lui reproche d’être passionnée ; quel plus bel éloge pour un vieillard ? Je ne me suis jamais mieux figuré cette étrange situation de l’Allemagne constitutionnelle qu’en écoutant M. Welker ; personne ne la sentait et ne l’exprimait si vivement. « Pas un droit défini, pas