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considérables. Ce réveil d’un peuple qui a tant contribué au moyen âge à répandre chez les chrétiens les sciences des Orientaux est d’un excellent augure. Fruit en grande partie de la philosophie, cette illustration nouvelle d’une nation injustement proscrite est un gage de plus donné aux idées de tolérance et à la liberté de la pensée.

Les travaux de M. Jacobi sont tellement nombreux et tellement spéciaux en même temps, qu’il serait très difficile, pour ne pas dire impossible, d’en donner une idée suffisante à nos lecteurs. Constatons pourtant, dès le principe, que, si M. Jacobi s’est consacré uniquement aux progrès des mathématiques, cela ne signifie nullement qu’il manque de ces connaissances littéraires qui font la base de toute éducation libérale et que certains savans voudraient bannir de chez nous peut-être pour ne pas être seuls à ignorer le latin. Tandis qu’en France il y a des gens qui croient faire injure à quelqu’un en l’appelant érudit, les savans de l’autre côté du Rhin ne négligent rien de ce qui peut étendre et fortifier l’esprit. Nous avons sous les yeux des thèses en philosophie soutenues en 1825 par M. Jacobi à l’université de Berlin ; dans une petite biographie placée vers la fin, le futur géomètre dit qu’il s’appliqua d’abord à la philologie, primum philologiae studiis incubui. Parmi les points que le jeune candidat (M. Jacobi avait alors vingt ans) eut à traiter dans cette épreuve décisive, on trouve, à côté des questions mathématiques les plus difficiles, une discussion sur une variante qu’il proposait d’introduire dans le texte grec du vers 1260 de l'Électre de Sophocle. Pourtant ces recherches n’ont pas plus empêché M. Jacobi de devenir un grand géomètre que les anciens travaux de M. Mitscherlich sur les langues orientales ne se sont opposés à ce que celui-ci se plaçât au premier rang des physiciens. Un peu d’érudition ne peut jamais nuire ; même réduite à une dose très modique et bornée à la connaissance des plus simples rudimens de la langue latine, elle peut avoir de grands avantages. Dans une occasion récente, elle aurait probablement empêché un de nos astronomes de prendre pour la traduction fidèle d’un ouvrage latin de Fabricius relatif aux taches solaires une paraphrase incomplète, qui ne reproduit que très imparfaitement les idées de l’auteur.

Bien que M. Jacobi se soit occupé avec supériorité de presque toutes les parties de l’analyse mathématique, c’est surtout par ses recherches sur les fonctions elliptiques et sur la théorie des nombres qu’il a su mériter l’estime des géomètres. A plusieurs reprises, la Revue a tenté de donner à ses lecteurs une idée de ces propriétés curieuses des nombres, dont l’étude constitue une des branches les plus élevées des mathématiques. Quant à la théorie des fonctions elliptiques, il serait bien difficile d’en donner une idée même incomplète aux personnes qui ne sont pas initiées aux mystères de la plus sublime analyse. Qu’il suffise de dire que cette théorie a pour objet l’étude approfondie des propriétés d’une famille de lignes transcendantes auxquelles, à cause de l’une d’elles, on a donné le nom d'elliptiques ; il s’agit de trouver pour ces courbes des théorèmes analogues à ceux que la géométrie élémentaire renferme à l’égard du cercle. Les bases de ces recherches ont été posées, il y a plus d’un siècle, en Italie par Fagnani, esprit subtil et inventif, dont les découvertes avaient passé presque inaperçues de son temps, et qui n’a été que depuis peu apprécié à sa juste valeur. C’est à lui qu’on doit d’avoir démontré pour la première fois l’égalité de longueur de certains arcs de la lemniscate, courbe comprise dans les transcendantes elliptiques,