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je ne conçois pas qu’on ose n’en donner qu’un compréhensif, général, étendant sa règle d’airain sur toutes les parties de l’espace et du temps où se développe l’histoire africaine. Il faut, dans ce pays si mobile, une habileté qui soit féconde en métamorphoses, qui, au lieu de se mouler sur la froide abstraction, s’applique exactement sur la réalité chaude et vive, et se prête à toutes les oscillations, à toutes les modifications que le fait vient à subir. Il importe avant tout que l’activité des Français égale l’inquiétude des Arabes, que les soulèvemens soient prévus plutôt que réprimés, et que, dès qu’une première émotion commence à faire frissonner, ne fût-ce que la surface des populations, le drapeau français apparaisse, comme le trident de Neptune, pour chasser les vents et abaisser les flots. Il ne faut pas craindre d’entrer en rapports fréquens avec les tribus et de donner à l’armée française le don de l’ubiquité, pourvu que son omniprésence se manifeste, comme celle de la Providence, en empêchant le mal et produisant le bien. Qu’on ne s’effraie pas de l’idée de violer, par de telles mesures, le précepte qui défend la division des forces ; car on reste dans l’esprit de cette loi, dès que dans toutes les opérations, quelque multipliées qu’elles soient, on garde l’avantage sur l’ennemi, soit selon le nombre vulgaire, soit selon une arithmétique où la puissance morale se trouverait représentée par des chiffres. L’ère, je ne dirai pas de la guerre, mais de l’action guerrière, est loin d’être close dans notre nouvelle conquête. Si c’est seulement sous la pression égale et régulière de l’établissement colonial que la terre africaine peut prendre et conserver son assiette définitive, ce n’est que sous les piétinemens de nos soldats qu’on peut refouler et briser ces énergies destructrices qui tendent à sourdre de tout point du sol trop long-temps resté libre, et qui, si on ne les combattait, renverseraient à chaque instant les travaux et les travailleurs, comme ces puissantes émanations repoussant les mains romaines et leur œuvre des fondations que les vainqueurs de la Judée préparaient pour un nouveau temple. Si, parmi quelques vagues indications, il est une pensée que j’oserais exprimer en termes directs et formels, c’est le regret que des préoccupations de politique européenne et des négociations positives avec l’empereur Abderhaman aient écarté le projet d’une campagne sur le territoire marocain. C’est là seulement qu’il y a pour Abd-el-Kader une base considérable d’opérations. Les Ouled-Naïls ne pourraient pas, les Kabaïles du grand massif ne voudraient pas garder et nourrir sur leur territoire de nombreux rassemblement formés sous l’étendard de l’émir ; mais les montagnards de la frontière orientale du Maroc sont dans de telles conditions géographiques et morales, que la volonté de l’empereur ne pourra ni les isoler long-temps d’Abd-el-Kader, ni détourner ces deux forces une fois combinées de fondre sur les domaines de la France. Alors il nous faudra, peut-être avec une armée fort diminuée, accomplir cette entreprise,