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Français sont les Français. Puis, lorsque les populations, lasses de la paix comme elles le sont peut-être aujourd’hui de la guerre, reprendront les armes ; lorsque, retrempées dans ce fleuve d’oubli qui si facilement coule à travers toute terre barbare et en enlève le lendemain la trace des désastres de la veille, elles reparaîtront fraîches et renouvelées pour le combat, on s’imaginera encore avoir tout expliqué en accusant les nouveaux fonctionnaires ou les nouvelles fonctions, et on se consolera du malheur des circonstances par l’injustice des jugemens. Plût à Dieu que l’on trouvât alors pour combattre le mal d’autres remèdes que ceux que l’on conseille aujourd’hui !

Entre autres recettes, on propose de substituer des colonnes de cavalerie aux colonnes mixtes que nous employons maintenant. On se figure qu’on pourra donner ainsi aux troupes françaises la mobilité et la rapidité qu’ont les Arabes, comme si les assaillans, qui agissent dans de tout autres conditions que les défenseurs, pouvaient rencontrer les mêmes avantages dans l’adoption des mêmes moyens. Les Arabes combattant sur leur territoire, au milieu de leurs frères de race et de religion, même lorsqu’une partie de ceux-ci suivent un autre drapeau, trouvent favorables ou neutres toutes les puissances qui nous sont hostiles ; les bois, les torrens, les connaissent et leur livrent tous leurs secrets ; les silos se révèlent volontiers à eux et leur abandonnent leurs grains ; la retraite la plus inaccessible dans les montagnes et des mains amies reçoivent leurs blessés et leurs malades. Pour nous, au contraire, les buissons cachent des fusils ennemis, et les ravins des embûches ; nos blessés, si nous ne les emportons avec nous, ne sont bientôt plus que des cadavres sans têtes. Il nous est donc impossible d’aborder les montagnes avec de la cavalerie sans infanterie : là en effet, les rochers, les ravins, les pentes abruptes, se mêlent et se pressent en un chaos inextricable ; c’est un semis d’innombrables postes fortifiés d’où les Kabaïles, s’ils n’y étaient attaqués et forcés par nos fantassins, tueraient un à un et à loisir tous nos cavaliers. Dans l’Algérie, la contrée montagneuse, c’est la surface entière du pays, moins les plaines infertiles du sud, que la rareté de l’eau et des grains ferme à de grandes réunions de cavalerie, comme fait ailleurs la configuration du sol. Il faudra toujours à nos cavaliers, aussi nombreux qu’on les suppose, le soutien de quelques compagnies d’infanterie, et dès-lors la vitesse du cheval sera limitée, au moins au-delà d’un certain rayonnement, par celle du fantassin. Dans les circonstances même où l’on peut détacher la cavalerie de la partie lourde d’une colonne avec la chance qu’elle joigne l’ennemi sur un terrain convenable, il y a encore des auxiliaires qu’il faut lui adjoindre : ce sont des mulets avec des cacolets pour enlever les blessés, car beaucoup de blessures ne permettent pas de charger et de transporter ceux qui en sont atteints sur des chevaux pourvus du harnachement