Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/1034

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nélida pouvait être un de ces romans uniques faits avec le cœur, qui s’appellent Adolphe lorsque l’écrivain se nomme Benjamin Constant ; l’art ne s’est point trouvé ici à la hauteur des sentimens et des situations qu’il avait à reproduire, et M. Daniel Stern n’a fait que défigurer l’intime vérité.

Tout ne porte pas cependant cette empreinte effacée ou difforme dans les œuvres du jour ; tout n’est pas clartés factices, fausses lueurs, couleurs incertaines. Et où faut-il aller chercher encore le véritable éclat, c’est-à-dire le vrai mérite littéraire ? Là où l’inspiration appelle le temps à son aide et sait se contenir pour s’accroître, là où l’esprit ne se laisse pas atteindre dans sa fermeté ou dans sa grace. Qu’on choisisse quelqu’un de ces contes d’un si beau relief, tels que Carmen, dont le secret semble trop bien gardé par M. Mérimée. Dans un autre genre, qu’on s’arrête à quelques-uns de ces romans pleins d’une douce émotion de M. Sandeau, entre lesquels Catherine n’est pas le moindre. M. Sandeau est un des plus délicats artistes de ce temps. Peut-être, lors même qu’il le voudrait, sa nature se refuserait-elle aux prodigalités, et sans nul doute son talent y succomberait vite. Doué d’une sensibilité ingénieuse, d’un instinct raffiné de la passion, d’une grace tempérée parfois d’ironie, c’est avec ces qualités, dont une sorte de pudeur d’intelligence règle l’usage, qu’il a fait Madame de Sommerville, Marianna, le Docteur Herbeau. Catherine a son rang à côté de ces élégantes compositions. C’est un fruit dont toutes les lèvres peuvent s’approcher sans craindre de trouver intérieurement la cendre brûlante des fruits de la mer Morte. Ce qu’il faut remarquer, c’est combien la simplicité peut sembler nouvelle, combien la pureté peut avoir d’intérêt après tant d’inventions monstrueuses. Où réside l’attrait d’un tel livre ? Là cependant la poussière d’aucune institution mise en lambeaux n’est jetée au vent, aucune vertu sociale n’est honnie, aucun demi-dieu nouveau ne vient dépenser en folies quelque héritage ouvert par les Borgia, aucune courtisane ne s’évertue à prouver la virginité de sa tendresse. C’est beaucoup moins et beaucoup plus tout ensemble. C’est la vie simple avec l’idéal qu’elle comporte ; c’est une destinée de village qui a aussi ses tempêtes ; c’est un drame qui se noue et s’achève sans bruit dans un presbytère de campagne de la Creuse, au hameau de Saint-Sylvain. Les personnages sont un vieux prêtre, une jeune fille, un instituteur et son fils, un jeune homme noble qui involontairement vient jeter le deuil dans ce monde paisible. Le bon curé François Paty est un pasteur dans toute l’excellence du mot, père autant que prêtre pour ses ouailles ; il a vieilli à Saint-Sylvain, s’associant aux joies et aux souffrances de chacun, répandant le bien, partageant ses faibles ressources avec tous les malheureux. François Paty est comme une éloquente réponse à cette caricature du prêtre qu’on peut voir dans Teverino. Les choses iraient plus mal encore dans l’église et au presbytère de Saint-Sylvain, si ce n’était la nièce du vieux curé, Catherine, qui du moins met une nappe blanche et des fleurs chaque jour sur l’autel, et travaille de son mieux pour suffire à la charité. La petite vierge, la petite fée, comme on la nomme, anime par son active vivacité tous les courages chancelans dans le pays, et met la vie au foyer de François Paty. La pureté de son cœur rejaillit à son front empreint d’une distinction naturelle. Elle fait connaître au vieux prêtre les illusions paternelles qui ne lui sont pas permises, et pour elle-même ne connaît encore que le plaisir d’être jeune, de sourire à la vie, de porter le bonheur partout où elle passe. Elle rit des étranges soupirs que pousse à ses côtés le