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tort de ressembler à des journalistes, et il a nié qu’il pût y avoir quelque chose de commun entre les poètes libéraux de la jeune Allemagne et la vraie poésie. Cette boutade ne manque pas de vérité ; cependant on a le droit de demander quelque chose de plus approfondi à un critique, à un historien littéraire. Quelle est donc la raison qui porte beaucoup d’esprits en Allemagne à déserter les traditions, les habitudes de leur pays, pour donner un langage aux passions politiques et pour imiter l’esprit français ? N’y a-t-il pas là plutôt un mouvement nécessaire qu’une fantaisie individuelle ? En lisant plusieurs de ces poésies politiques que la surveillance des gouvernemens ne peut empêcher de circuler, il nous a semblé que, si elles n’étaient pas destinées à en immortaliser les auteurs, elles ne seraient pas inutiles à la nation allemande ; qu’elles pourraient assouplir sa langue, la rendre plus claire, plus agile, plus apte à exprimer des idées pratiques et positives. En un mot, toute cette poésie dont aujourd’hui nos voisins sont inondés a du moins ce mérite à nos yeux, de les préparer, de les façonner à la prose politique.

Nous signalons avec d’autant plus de franchise à M. Henri Blaze les légères injustices auxquelles peuvent l’entraîner ses préférences, ses passions d’artiste, qu’il y a dans son esprit une force rationnelle assez grande pour le maintenir dans les voies d’une ferme impartialité. Nous n’en voudrions d’autre preuve que son étude sur Immermann, étude qui se recommande par une sagacité non moins équitable que piquante. Immermann est un poète qui multiplia les tentatives audacieuses et trouva rarement les grands succès. M. Henri Blaze nous montre sa muse errante voyageant d’Aristote à Shakespeare, de Tieck à Goethe. Il juge le théâtre d’Immermann avec une complète indépendance, et n’accepte pas pour des preuves de génie un bruyant et prétentieux appareil emprunté à Shakespeare. Les œuvres dramatiques d’Immermann ont étonné un moment l’Allemagne sans lui inspirer une sympathie durable. À cette occasion, M. Henri Blaze n’a pu s’empêcher de songer à M. Victor Hugo. Des connaissances littéraires très étendues, un goût fort éclairé pour les arts, voilà des qualités qui, jointes à d’autres que nous avons déjà signalées dans M. Blaze, lui assureront de plus en plus, quand il le voudra, un rang éminent dans la haute critique. A nos yeux, un des plus grands mérites des publications que nous lui devons jusqu’à présent, c’est qu’elles sont vraiment utiles à l’artiste, au poète, à l’historien littéraire. Elles présentent une espèce d’anthologie de la littérature allemande, où se trouvent concentrés avec art les principaux rayons d’une grande et originale poésie. M. Blaze a su s’associer d’une façon tout-à-fait distinguée aux écrivains qui, depuis quarante ans, se sont proposé de servir de lien entre l’Allemagne et la France.

D’ailleurs, le moment est bien choisi pour nous offrir, non pas des