Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/1014

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Faust, est aussi analysé avec une ingénieuse finesse, et certes la tâche n’était pas facile à remplir. Cependant il y en avait une autre encore plus épineuse qui n’a pas effrayé le courage de M. Blaze : c’est la traduction non-seulement de la première, mais de la seconde partie de Faust. Que de difficultés à vaincre ! Quel poète formidable ! On se trouve en face d’un style dont les ressources, dont les hardiesses sont inépuisables, et dont les beautés paraissent inaccessibles. Au rude labeur d’une traduction pareille, M. Blaze a consacré, comme il le déclare, trois ans d’études et de méditations, et nous lui devons une traduction complète, poétique et savante du plus grand monument de la littérature allemande.

Dans la critique de M. Henri Blaze, on sent l’imagination d’un poète. Cette imagination lui a prêté de brillans secours, quand il apprécie le lyrisme allemand. Elle lui a permis de nous faire sentir et comprendre l’originalité toute germanique du lied, de ce petit poème qui participe à la fois de la fable, de l’épigramme antique, de la chanson, qui en même temps a quelque chose de plus sérieux, de plus idéal, et qui est devenu le chant familier de l’Allemagne, parce que l’Allemagne y trouve dans un cadre resserré un enthousiasme infini, une aspiration ardente vers la nature et Dieu. En maints endroits, la critique de M. Henri Blaze a toute la richesse luxuriante de la poésie, soit qu’il caractérise le génie lyrique de Goethe, soit qu’il mette en relief les qualités distinctives de la manière d’Uhland et de Justin Kerner, soit qu’il étudie Rückert et nous en déroule l’orientalisme étincelant. Avez-vous parcouru les belles campagnes du Wurtemberg, ces magnifiques vignobles qui apportent la joie et la force au cœur de l’homme, les pentes ombreuses de la Forêt-Noire ; tous ces souvenirs se réveilleront dans votre esprit par l’harmonie qu’établit si bien M. Henri Blaze entre les chants des poètes souabes et la nature qui les inspire. Il est remarquable qu’un écrivain que son origine et ses souvenirs de famille rattachent étroitement au midi de la France ait pénétré si avant dans le génie de la poésie allemande, et qu’il ait si pleinement réussi à nous la faire goûter et sentir.

Quelquefois, il est vrai, les droits de la critique sont envahis par un enthousiasme qui déborde, et qui apporte quelque confusion dans les idées. Ainsi, après avoir traduit ce beau lied d’Uhland, intitulé Chant des jeunes gens, et qui commence ainsi : Le temps de la jeunesse est sacré :

Heilig ist die Jugendzeit,


M. Henri Blaze ajoute : « Cette chanson est vraiment belle ; il y a dans cet air de liberté qu’on y respire, dans cette divination des voluptés sensuelles qui s’y manifeste à chaque vers, un caractère sacerdotal qui