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c’est le résultat d’une loi de leur nature et de leur organisation. C’est en les atteignant dans leurs mœurs, c’est en modifiant le milieu où elles vivent, qu’on parviendra peu à peu à transformer leur constitution. La guerre cessera, non pas lorsque nous ne la ferons plus, ou qu’avec de la cavalerie, comme le veulent certaines personnes, ou que d’une manière défensive, comme le demandent certaines autres, mais lorsque les Arabes cesseront d’être possédés du démon de la guerre, de naître, de grandir, de vivre dans la guerre et pour la guerre. Le temps, le remplacement des générations actuelles par de jeunes générations formées sous d’autres influences, la multiplication de nos rapports avec les indigènes, l’éveil chez ces derniers d’instincts et de goûts qui sommeillent maintenant, voilà ce qui, par un progrès continu, mais lent, amènera la transfiguration de cette terre qui, aujourd’hui, comme celle de la Cadmée mythologique, ne produit que des soldats armés pour combattre les civilisateurs, et qui plus tard se couvrira aussi des riches produits de la civilisation. La France a un tempérament porté à l’irritation et à l’impatience ; son sang circule avec force et rapidité, et quelquefois il lui arrive de mesurer le temps, non aux régulières oscillations du grand pendule des siècles, mais aux pulsations de son cœur. Tout ce qui retarde sur son désir lui paraît retenu par quelque accident, par quelque désordre arrêtant la marche naturelle des choses. Lorsqu’on a vu en France que la guerre apparaissait de nouveau en Afrique, on n’a pas compris d’où elle pouvait tomber. On en a accusé les personnes, on en accusé les idées. Chacun a vu dans cet événement la confirmation de ses prévisions, la condamnation des systèmes qu’il avait condamnés, la démonstration par le fait des vérités qu’il avait démontrées théoriquement. On en a pris acte pour remettre au rôle du tribunal de l’opinion des causes qui depuis long-temps semblaient jugées. On a nié le progrès.

Les phrases, en effet, sont les mêmes qu’il y a quatre ans ; on parle encore comme alors d’expéditions, de populations armées, de combats même ; mais il faut voir si cette couche de mots semblables pose sur des réalités pareilles. Il y a quatre ans, la guerre, c’était une série de combats s’allongeant de Blida jusqu’à Miliana ou Médéah et une haie épaisse d’Arabes guerroyans qui bordait, sur une longueur de vingt-cinq ou trente lieues, la route que suivaient nos colonnes ; c’étaient les éclairs de la mousqueterie commençant à luire avec les premiers rayons du soleil et s’éteignant avec les dernières clartés du jour, les pitons des montagnes disparaissant sous les burnous blancs des Kabaïles, tous les passages de ravins vivement défendus, nos arrière-gardes suivies pied à pied par un ennemi ardent et alerte, prompt à sentir la moindre erreur commise par nous et à en profiter, à saisir le moindre défaut de la cuirasse