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vertu, mais qui devait ruiner toute sa direction ? A l’une des personnes qu’il dirigeait. Bossuet se défie moins de son fonds, et croit plus à son autorité. Aux religieuses qui le consultent, il dit, dans ce style impérieux du prêtre qui, avant de régler les autres, s’est d’abord réglé lui-même : « Tenez-vous invariablement à mes règles. »

Il est vrai que Bossuet n’écrit le plus souvent qu’à des religieuses, et ne s’occupe que de l’activité bornée de la vie du couvent. Les lettres de Fénelon sont, pour la plupart, adressées à des personnes du monde. Où l’un n’avait qu’à commander, en sa double qualité de directeur des consciences et de supérieur ecclésiastique, l’autre ne pouvait que conseiller ; mais, chose étrange, ou plutôt très explicable quand on y réfléchit, celui qui commande est plus doux que celui qui conseille. C’est un des effets de cette séduction attachée au nom de Fénelon, qu’on l’ait cru plus indulgent, plus véritablement inspiré de la charité chrétienne que Bossuet. Fénelon lui-même n’en eût pas accepté l’éloge. Il se trouve quelquefois si dur, qu’il s’en fait le reproche et en demande pardon. « Pardon, monseigneur, écrit-il au duc de Bourgogne qu’il vient de fort maltraiter, j’écris en fou. » Non, mais en homme habitué à l’empire, et qui, soit prudence mondaine, soit vertu, déguisait sous ces aimables reproches à lui-même l’ardeur avec laquelle il voulait être écouté et obéi.

Pour Bossuet, la louange d’avoir été doux n’est que vraie et méritée. Son indulgence et sa charité se montrent jusque dans ses commandemens si exprès à ses religieuses. Ce qu’il veut, c’est une certaine modération dans leur sévérité pour elles-mêmes et dans leurs inquiétudes sur leur intérieur. Il est indulgent, parce que, n’ayant pas fait la règle, et n’étant point intéressé par amour-propre à la faire exécuter, il comprend mieux les faiblesses et les impuissances, et, par condescendance, va jusqu’à exiger des personnes qu’elles ne se rendent pas trop misérables. Il est, si je puis emprunter une comparaison à nos institutions judiciaires, à la fois juge et juré : comme juge, il a le dépôt de la loi et le devoir de l’appliquer ; mais, comme juré, il tient compte des circonstances atténuantes.

Fénelon est dur, il l’avoue, et comment ne le serait-il pas ? Il a fait lui-même la règle qu’il applique, et la stricte exécution de cette règle est sa gloire personnelle. Plus il a de vertu et plus il est dur, car ce qui est possible à sa vertu, comment souffrirait-il qu’il fût impossible à autrui ? Cette dureté est l’inévitable conséquence de toute doctrine née du sens propre, et plus on a de vertu, plus on s’y doit opiniâtrer. Toutefois Fénelon sent qu’il doit paraître dur ; mais c’est encore un