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défauts qui lui venaient de son éducation. Oserai-je dire toute ma pensée ? Fénelon, qui, toute sa vie, désira d’entrer dans le gouvernement, avait-il, à l’insu de sa vertu, formé son élève pour ses secrètes espérances ? Se flattant, non tout haut, ni avec l’indiscrétion d’une ambition grossière, mais secrètement, et peut-être en s’en faisant le reproche, qu’il régnerait quelque jour avec son élève devenu roi, ne lui donna-t-il pas ou ne lui voulut-il pas voir toutes les dispositions qui pouvaient le servir dans ses desseins ?

Tant qu’il fut à la cour, dans tout l’éclat de la faveur et des prédictions qu’on faisait autour de lui de sa naissance, de ses séductions et de ses grands talens, il combattit, dans le naturel de son élève, ce qui était capable de lui résister ; ce qui cédait, il l’inclina vers ses espérances et ses plans de domination. Il lui inspira une piété qui ne pouvait ni s’affranchir ni manquer un moment du secours d’un directeur ; il lui donna des scrupules que seul il pouvait lever. Il le rendit trop curieux de son intérieur, pour n’y pas désirer incessamment la lumière d’autrui, et paresseux à l’action pour qu’il fût plus souple au conseil.

Après sa disgrace, il eut besoin, dans son élève, de dispositions toutes contraires. Celles qui convenaient aux espérances ne convenaient plus aux revers. Fénelon entreprit alors de défaire son propre ouvrage. Il conseilla une piété moins disproportionnée à l’état du prince ; il critiqua les habitudes d’isolement ; il exhorta au commerce des hommes, à l’activité. En gardant les défauts de son éducation, le duc de Bourgogne eût enfoncé son ancien précepteur plus avant dans sa disgrace ; par les qualités, trop long-temps effarouchées, que Fénelon voulait rappeler, le duc de Bourgogne, plus heureux à l’armée, plus puissant à la cour, entourait de quelque gloire l’exil de Cambrai, et la faveur du futur corrigeait la disgrace du présent. « Au nom de Dieu, écrit-il au duc de Chevreuse après la mort du grand dauphin, que le dauphin ne se laisse gouverner ni par vous, ni par moi, ni par aucune personne du monde[1] ! » Quel vif aveu du secret désir de gouverner dans ces mots : ni par moi !

A quelle influence le duc de Bourgogne dut-il de prendre enfin possession de son véritable naturel, et à qui faut-il faire honneur des regrets que coûta sa perte ? A Louis XIV. C’est cet aïeul que Fénelon lui avait appris à moins respecter, qui releva la réputation de son petit-fils ; il le fit participer aux affaires, et il l’arracha aux préjugés de son

  1. Lettre du 27 juillet 1711.