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caractère en regard de chaque particularité de l’éducation. On ne peut être trop exact dans ses preuves quand on blâme un Fénelon.

Dans la religion, par quelle pratique le royal élève répond-il à la doctrine du pur amour enseignée par le précepteur ? Par cette dévotion sombre et solitaire qui ne peut rien de plus pour rendre Dieu présent que l’isolement absolu, et ce que Saint-Simon appelle le particulier sans bornes. Fénelon ménage-t-il du moins la conscience du jeune prince sur les querelles théologiques du temps ? Point. Il lui a inculqué sa haine pour les jansénistes. « J’espère, lui écrit le duc de Bourgogne, par la grace de Dieu, non pas telle que les jansénistes l’entendent, mais telle que la connaît l’église catholique, que je ne tomberai jamais dans les piéges qu’ils voudront me dresser. » Est-ce donc ainsi que le sage Mentor a oublié le conseil, qu’il donnait au roi Idoménée, de ne se point mêler des affaires de religion, et d’en laisser le débat aux prêtres des dieux[1] ? Il fait plus ; il force Télémaque à lire ses écrits théologiques. Le duc de Bourgogne lit le mandement de Fénelon contre un M. Hubert, janséniste déguisé, qui substituait à la doctrine de la prédestination pure celle de l’impuissance morale, et imaginait le système des deux délectations. Aussi la leçon porte ses fruits. Le duc de Bourgogne était devenu théologien, témoin le mémoire qu’il avait écrit sur ces matières et que fit publier Louis XIV après sa mort, pour démentir le bruit répandu par les jansénistes que le dauphin était bien intentionné pour eux.

En politique, quelle est la théorie du gouvernement la plus chère à Fénelon ? La domination de la noblesse. Or, de quoi Saint-Simon loue-t-il le plus le duc de Bourgogne ? De ce que le prince est d’accord avec lui sur la part qu’il faut faire aux ducs. S’agit-il de juger la conduite de Louis XIV, on a vu quels durs avis Fénelon donne à Louis XIV, l’étrange conseil de restituer, comme illégitimes, les conquêtes du roi, et, pour unique remède à tous les maux de la guerre, la défaite. Or, que disait-on du duc de Bourgogne ? Qu’il avait tenu à Versailles ce propos : « Ce que la France souffre vient de Dieu, qui veut nous faire expier nos fautes passées ; » qu’il ne ménageait pas le roi, et affectait une dévotion qui tournait à critiquer son grand-père[2]. C’est Fénelon lui-même qui s’en plaint. « On dit même, lui écrivait-il deux ans auparavant, pendant la campagne de Flandre, on dit que vos maximes scrupuleuses vont jusqu’à ralentir votre zèle pour

  1. Télémaque, livre XVII
  2. Lettre de Fénelon de M. de Chevreuse, 7 avril 1710,