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que le prince obligerait malgré eux à veiller, à observer, à savoir ce qui se passe, à l’en avertir secrètement. »

Ces chimères, d’ailleurs fort innocentes, sont la marque, et je dirais presque le châtiment de la contradiction où tomba cet homme illustre en voulant renouveler dans sa personne la fortune de Richelieu et de Mazarin. C’est par l’impossibilité de concilier la sévérité chrétienne avec la facilité de la politique, qu’il arrive à imaginer une civilisation sans luxe, et l’espionnage fait par d’honnêtes gens qui en ont l’horreur. Il fallait bien que, la part faite à la politique par l’homme qui prétendait entrer au conseil, l’archevêque et le chrétien fissent toutes réserves au nom de la morale chrétienne. De là des contradictions dont Fénelon ne peut se tirer que par des rêveries. Quoique doué d’un grand sens, comme tous les hommes supérieurs, il en manqua pour se conduire sur ce point, et il s’agita toute sa vie entre l’ambition de gouverner l’état, sans désespérer un seul jour, dit Saint Simon, et les empêchemens de sa robe et de sa vertu. En cela, comme en tout le reste, Bossuet lui est bien supérieur, car il se servit d’abord de son admirable bon sens pour se connaître et se mettre à sa place, et, quand il eut à toucher aux matières politiques, il sut s’y arrêter au point où le prêtre eût tranché du ministre.

Bossuet a un autre avantage en tout ce qui regarde cette matière si délicate de la direction. C’est qu’il se borne à des prescriptions générales et sommaires, à ce qu’un esprit d’une capacité ordinaire peut oublier ou ne pas voir. Au lieu de susciter cette foule de menus scrupules et de petites perplexités où la conscience s’embarrasse, et qui empêchent l’activité, il se contente d’avertir la conscience par des traits frappans, et de la mettre en exercice pour ainsi dire, lui laissant trouver, par une induction facile et involontaire, toutes les prescriptions de détail qui dépendent de la prescription générale. Par la méthode contraire, Fénelon s’abîme et s’éblouit dans l’infinité des détails, et, si sa direction doit avoir quelque effet, c’est d’exciter stérilement notre curiosité sur nous-mêmes. Pendant qu’il nous insinue dans tous ces replis et qu’il nous mène à la poursuite de tant de nuances fugitives, l’heure d’agir est passée.

Bossuet ne fait pas un examen en quelque sorte calomnieux des consciences royales ; il ne s’enfonce pas comme à plaisir dans ce mauvais fonds de corruption qui nous rend toutes nos pensées suspectes, et nous fait craindre toutes nos actions. Soit prudence, soit que, l’essentiel étant réglé, il ne lui paraisse ni d’une bonne morale, ni dans l’esprit de la charité chrétienne de forcer les suppositions, il demeure