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— « Oh ! mon Dieu, vous voyez un homme bien chétif,
Reprit-il ; mon génie, en somme, est peu de chose,
Et, si vous en pouviez connaître ici la dose,
Vous parleriez de moi moins au superlatif.
Je prends à l’un l’orchestre, à l’autre le motif,
Et, pour mieux composer, d’abord je décompose.

« Par un art merveilleux que je tiens d’un sorcier,
Brave homme qui sans moi serait mort sur la paille,
J’extrais en un moment tout l’esprit d’un cahier,
Tout le suc d’un chef-d’œuvre, et, lorsque je travaille,
Du flacon de cristal où je tiens ma trouvaille,
Je répands une goutte ou deux dans l’encrier.

« Poète, dites-vous ? musicien, artiste ?
Oh ! que non pas, monsieur ! moi, je suis alchimiste !
Quatre grains de cela, trois drachmes de ceci :
Je combine, j’assemble, et je parviens ainsi
À ces effets puissans auxquels rien ne résiste ;
Quant à créer, vraiment, je n’en ai nul souci.

« D’ailleurs, c’est caresser une étrange chimère,
Que prétendre créer, au temps où nous vivons ;
Beethoven et Mozart, comme le vieil Homère,
Pour la postérité disaient : Nous travaillons.
Pour la postérité ? Je suis fils de ma mère :
Ils ont eu du génie, et nous en profitons !

« Bien fou qui se consume en de stériles veilles,
Qui se rompt la cervelle à chercher le vrai beau ;
La nature épuisée est à bout de merveilles,
Elle a donné le son, il nous reste l’écho ;
Faisons des bracelets et des pendans d’oreilles :
Dieu seul a le secret de l’or et du nouveau !

« Quoi ! d’une idée ici je me ferais l’apôtre,
Et j’irais en son nom chercher mon Golgotha !
Ces efforts ne sont plus d’un temps comme le nôtre,
La Muse d’aujourd’hui s’appelle Industria !
Mozart dans une fiole, et Rossini dans l’autre,
Que pensez-vous, monsieur, de ce système-là ?