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et personne n’en a eu l’invention. Il ne faut noter que ce qui est propre à Fénelon.

Une royauté absolue, des sujets partagés en classes que distingue un habit différent, et la vertu pour toute constitution, voilà l’idéal de Fénelon. Cet idéal ne fut-il rêvé que pour Salente ? Non. Cette chimère des classes, si contraire à l’esprit d’égalité du christianisme, n’est pas un détail d’imagination dans une sorte de république idéale ; c’est une institution que Fénelon rêvait pour Salente et qu’il eût imposée à Paris.

A Salente, Mentor conseille à Idoménée de régler les conditions par la naissance, et de les distinguer par l’habit. Les personnes du premier rang, après le roi, seront vêtues de blanc, avec une frange d’or au bas de leurs habits. Ils auront au doigt un anneau d’or avec le portrait du prince. Le bleu sera la couleur des seconds, avec une frange d’argent ; ils auront l’anneau, mais point de médaille. Les troisièmes seront habillés de vert, sans anneau et sans frange ; ils auront la médaille d’argent. Les vêtemens des quatrièmes seront jaune-aurore ; des cinquièmes, rouge pâle ou rose ; des sixièmes, gris de lin ; des septièmes, qui seront les derniers du peuple, jaune mêlé de blanc[1].

A Paris, si Fénelon est moins occupé des costumes, il ne l’est pas moins des privilèges de naissance et des différences qui doivent marquer les conditions. Dans un plan de gouvernement tracé pour le duc de Bourgogne, je vois que la maison du roi doit être composée des seuls nobles choisis. Les pages du roi doivent être des enfans de haute noblesse. Pour les places militaires, les nobles seront préférés, et, pour la magistrature, ils passeront avant les roturiers à mérite égal, et avec le droit de garder l’épée. Les maîtres-d’hôtel du roi, les gentilshommes ordinaires, seront tous nobles vérifiés. Mésalliances interdites aux nobles des deux sexes ; défense aux acquéreurs des terres des noms nobles de prendre ces noms ; aucun ordre pour les militaires sans naissance proportionnée.

Pour le nombre et la distribution des classes, et le costume propre à chacune, si Fénelon n’a pas donné des prescriptions expresses, il y songeait. Ce devait être la matière de règlemens ultérieurs compris dans son plan sous ce titre : Lois somptuaires pour toutes les conditions ; car comment faire des lois somptuaires sans toucher aux habits, et comment les appliquer à toutes les conditions sans fixer le nombre de celles-ci ?

  1. Télémaque, livre X.