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a combattu dans un ouvrage subtil et oublié ; ce sont trop souvent des bizarreries qui font regretter la dextérité qu’il y déploie. Il a manqué, dans l’invention, de cette force de génie qui fait vivre les systèmes, et son bon sens, admirable en mille endroits, faillit où ne se tromperait pas un esprit ordinaire. Enfin, jusqu’à Fénelon les imperfections des grands écrivains semblent n’être que les imperfections même de la nature humaine : ce sont, dans ses écrits, des défauts particuliers à un écrivain, et dont il est seul responsable.

Cette doctrine des parfaits, cet impossible amour de Dieu, cette piété distinguée, toutes ces rêveries du sens propre, ce rare, ce grand fin en religion, selon l’expression du temps, telle est, pour la plus grande part, l’invention dans Fénelon. Mais à quoi bon raffiner ? ’ Souvenons-nous des paroles de Louis XIV, si exactes, si modérées. « M. l’archevêque de Cambrai est le plus chimérique des beaux esprits de mon royaume. » Bel esprit, voilà la part de l’estime : on le disait alors des plus beaux génies ; chimérique, voilà la cause de tous les défauts de Fénelon. Un jugement de cet auteur ne peut être que le commentaire intelligent des paroles de Louis XIV. Il faut en chercher l’application à toutes les matières sur lesquelles il a laissé quelque écrit considérable.


I - FENELON CHIMERIQUE DANS LA RELIGION

On n’a pas oublié les étranges nouveautés du quiétisme, et comment Leibnitz, parlant des écrits de Fénelon sur ce sujet, n’y trouvait à louer que son innocence. Les erreurs de ce prélat n’y sont pas seulement de pure théologie ; s’il en était ainsi, il ne faudrait pas s’en occuper. Ce sont à la fois des erreurs contre la philosophie chrétienne, contre ce qu’on a appelé le gallicanisme, qui n’est que le christianisme approprié à l’esprit français, contre la nature elle-même que Fénelon trompait par le leurre d’une perfection impossible. Quelques remarques sur ces erreurs ne sont pas hors de mon sujet. La philosophie chrétienne, le christianisme français, la mesure de perfection possible à l’homme, tout cela peut intéresser ceux même que ne touche point le dogme. J’y vois, pour mon compte, ou les titres du monde moderne, ou les privilèges particuliers de l’esprit français, ou les droits même de la raison.

La tendance générale des écrits théologiques de Fénelon est, si l’on s’en souvient, de substituer le particulier à l’universel, le sens propre à la tradition. Il est vrai que, ne pouvant pas s’en cacher les