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J’aime mieux cependant parler de l’opéra,
De la marche s’entend, pompeuse et triomphale
Que l’orchestre entonnait à grand train de cymbale.
Vous n’imaginez point ce qu’on découvrait là ;
C’était une merveille, un vrai panorama,
Que cette symphonie à jamais sans égale ;

Mais un panorama fantastique à mes yeux,
Où passaient devant nous, légions imprévues,
Au lieu de princes noirs et de pachas hideux
Et d’esclaves chassant les almés demi-nues,
Cimarosa, Mozart, Gluck, Weber, tous les dieux
Dont l’orchestre évoquait les figures connues.

Je les vis défiler guidant les escadrons,
Qui sur un éléphant, qui sur un dromadaire :
Celui-là, devant qui s’inclinent tous les fronts,
N’est point, comme on le dit, quelque sultan vulgaire,
Mais le grand maestro, l’Amphion janissaire,
Rossini ! Sonnez tous, fanfares et clairons.

Et cet autre sublime, au regard de pontife,
Qui, dans son palanquin par six nègres porté,
S’avance sur un air plein de solennité
Qu’a marqué le lion de sa puissante griffe,
Dites, est-ce un émir ? un devin ? un calife ?
Un mage par l’Esprit en ses nuits visité ?

Un roi mage, oui, plutôt, que l’étoile dirige,
Le mage Beethoven, immortel pèlerin,
Roi-pasteur que l’étoile au ciel guide sans fin,
Et qui, par les rochers où plane le vertige,
Va poursuivant toujours le mystique prodige,
Sûr qu’un divin messie est au bout du chemin !

A chaque mouvement comme à chaque formule
Que l’orchestre prenait, allègre ou solennel,
Le fantôme évoqué glissait au crépuscule
Pour s’effacer bientôt dans le groupe réel.
Tel qu’un blond cardinal du temps de Raphaël,
Je vis ainsi passer Bellini sur sa mule,