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de cette considération, on invoque le souvenir de campagnes récentes, celle de Mogador, par exemple, ou celle de Saint-Jean-d’Acre, en ajoutant que, sans vaisseaux de ligne, aucune de ces expéditions n’eût réussi. Les vaisseaux auraient ainsi une destination utile, indispensable, et qui se trouve désormais placée, par l’effet de glorieux exemples, au premier rang des opérations navales.

C’est beaucoup se hasarder que de conclure ainsi ; c’est vouloir, à l’aide de quelques heureuses exceptions, consacrer une règle inadmissible. Que l’on réfléchisse à la nature des expéditions dont on se fait un argument ? Se sont-elles passées entre puissances de premier ordre et de la même valeur ? De ce que l’on a pu démanteler les murailles et faire taire le feu des Égyptiens à Saint- Jean-d’Acre et des Marocains à Mogador, il ne serait pas sage de conclure que l’on se permettrait impunément les mêmes coups de main vis-à-vis d’une batterie européenne, servie par des artilleurs européens. Il a déjà fallu de la hardiesse et de la résolution pour user de ce procédé vis-à-vis de nations à demi barbares, au milieu des dangers que font courir, dans une rade foraine, les variations de la brise et des obstacles que la houle oppose à un pointage régulier. Que serait-ce si l’on avait affaire à un bon armement, à des canonniers exercés, à des ouvrages solides, enfin à tous les moyens de destruction que la science met entre les mains des peuples policés ? En y songeant mûrement, on s’assure vite que cette nature d’opérations, entièrement exceptionnelle, ne saurait servir de base à des calculs généraux, à ceux qu’inspirent les nécessités d’une guerre sérieuse. Pour attaquer une batterie à terre, des frégates à vapeur, libres de leurs mouvemens, pouvant quitter la partie ou la reprendre, opérer de nuit ou de jour, seraient des instrumens, sinon plus énergiques, du moins plus maniables et moins exposés que ne le sont des vaisseaux de ligne. Ainsi, dans ce cas même, rien n’enchaîne notre régime naval au maintien de ces colosses de guerre.

Sous cette impression, il est difficile de se défendre d’un sentiment de regret, quand on voit les sommes considérables que le projet de loi consacre aux constructions (le bâtimens qui ont la voile pour moteur. Il faut être juste néanmoins : un gouvernement ne peut pas marcher, en matière d’innovation, du même pas que les esprits spéculatifs ; son rôle l’astreint à plus de réserve. Pendant que les uns l’accusent d’aller trop lentement, d’autres lui reprochent d’aller trop vite, et il doit trouver dans ces imputations contradictoires la preuve qu’il suit une ligne prudente entre deux excès. Cependant il est un