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à chercher une valeur de convention comme le terme de comparaison le plus réel et le plus sincère. À ce compte, nos frégates, si on voulait les introduire dans la ligne de bataille, où elles auraient en outre l’inconvénient de créer des points faibles, devraient y figurer dans cette proportion que trois grandes frégates fussent comptées pour deux petits vaisseaux. Il est aisé d’établir sur cette base le bilan de notre force et de voir ce qu’y ajoute le projet de loi présenté aux chambres.

Peut-être, pour le faire avec plus de fruit, est-il utile de prendre dans l’histoire de notre marine une date qui puisse fournir matière à un rapprochement, 1792, par exemple. En 1792, la France possédait 76 vaisseaux de ligne, les frégates ne comptaient pas alors dans la ligne de bataille. En 1854, nous aurons 44 vaisseaux et 66 frégates tant à flot qu’en chantier, c’est-à-dire 40 vaisseaux 16/24es d’achevés, plus 34 frégates de 1er  et 2e rang achevées et lancées. Voilà donc une valeur de 51 vaisseaux formant notre établissement normal, chiffre qui constate une infériorité d’un tiers sur l’établissement de 1792. Pour les bâtimens armés et à la mer, l’avantage reste encore à la marine de l’autre siècle. Dans l’année 1793, 21 vaisseaux se trouvèrent réunis dans la baie de Quiberon sous les ordres de Morard de Galles, 4 croisaient aux Antilles sous les ordres du contre-amiral de Sercey, 17 étaient mouillés à Toulon sous le commandement du contre-amiral Trogoff : en tout 43 vaisseaux. En 1854, nous n’aurons à flot que 20 vaisseaux et 34 frégates de 1er  et 2e rang, c’est-à-dire une valeur de 31 vaisseaux. C’est encore une infériorité d’un quart à peu près. Il y a plus, la réserve de 1792 était presque toute à flot, tandis que la nôtre est sur chantier, encore livrée soit aux erreurs de calcul dans l’avancement, soit aux délais nécessaires pour un armement complet.

Ainsi, les objections ne manqueraient pas de la part des hommes spéciaux qui s’appuient sur les traditions de l’arme et n’ont pas vu s’affaiblir encore la confiance qu’ils portent à nos vaisseaux. Je l’avoue, mes scrupules sont tout autres, et, si j’avais quelques reproches à faire au projet de loi, ils seraient d’une nature complètement opposée. Je trouve qu’il accorde trop à la voile et n’accorde pas assez à la vapeur ; je trouve qu’il fait une part trop grande à la flottille, à ce système de petites constructions et de petits armemens dans lesquels s’engloutissent des sommes énormes sans que le pays en retire des avantages proportionnés ; je trouve qu’il n’envisage pas assez hardiment l’avenir, et ne distingue pas d’une manière suffisamment nette les choses qui s’en vont des choses qui arrivent.