Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/911

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au-devant de l’ambassadeur de Mazarin, et lui fait les honneurs de Londres devant la foule ébahie.

Au milieu de ces succès, il ne se relâche pas de son activité, et, dans une lettre des plus remarquables, il jette déjà les yeux sur Gibraltar


« Nous sommes informé que les Espagnols ont envoyé tous les hommes dont ils pouvaient disposer par les six ou sept vaisseaux qu’ils ont expédiés aux Indes occidentales au mois de mars dernier. Nous savons aussi qu’il a toujours été reconnu que ce qui manque le plus aux Espagnols, ce sont les hommes, — comme aussi, dans ce moment, l’argent. Vous êtes à même de savoir mieux quel nombre d’hommes il y a à Cadix et à l’entour. Nous ne parlons que de probabilités. Ne serait-il pas digne de votre attention et de celle de votre conseil de guerre de juger s’il ne serait pas possible de brûler ou détruire par tout autre moyen la flotte qu’ils ont à présent à Cadix ; si Puntal et les forts sont assez formidables pour décourager d’une semblable entreprise ; si Cadix lui-même est inattaquable, ou si l’île sur laquelle il est situé ne peut être empêchée d’avitailler la ville par le pont, l’île étant si étroite en quelques endroits ; si quelque autre endroit n’est pas attaquable, particulièrement la ville et le château de Gibraltar ? et, si nous pouvions nous en emparer et le conserver, ne serait-ce pas un avantage pour notre commerce et un désavantage pour les Espagnols ? et cela ne nous mettrait-il pas en état, sans entretenir une si grande flotte sur ces côtes, en y faisant stationner six frégates légères, de faire plus de mal aux Espagnols et de diminuer nos dépenses ? »


Les grandes colonisations de l’Angleterre indiquées et même commencées, les finances en bon état, la France alliée et amie, l’Espagne battue, les mers soumises, tous les ennemis du protecteur réduits au silence, prouvent assez que c’est un roi. Ici, en 1657, lorsque depuis long-temps le pouvoir réel est à lui, vient se placer. l’offre solennelle que Widdrington lui fait de la part des communes, l’offre du titre royal ; « une plume au chapeau, » rien de plus, comme il le dit lui-même aux officiers-généraux qui l’avertissent que le peuple de Dieu sera scandalisé s’il se fait roi. « Roi ! je le suis déjà, » leur répond-il en cent cinquante pages, six discours et une énorme quantité de paroles. « Quant à ce nom que vous m’offrez, je ne sais si je dois le prendre. » On a fait de la royauté offerte à Cromwell une affaire beaucoup trop importante ; ce titre, dont il possédait la réalité suprême, n’ajoutait qu’un danger à sa situation. Entre ce danger et son ambition, entre la crainte de blesser le peuple et celle d’irriter les soldats, il hésite long-temps ; la trace de cette hésitation est partout empreinte dans les interminables argumentations de ses discours, que l’on a regardées comme le dernier terme de la fraude. Il était seulement fort embarrassé. Cromwell refuse donc, avec beaucoup de raison, selon