Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/906

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’avais quelques doutes du succès, jusqu’au moment où la Providence les a dissipés par les effets. Véritablement, et pour parler avec candeur, je n’étais pas sans quelques doutes, et je n’aurai pas honte de faire connaître à votre éminence les causes que j’avais de douter fortement. Je craignais que Berkley ne fût pas capable de conduire cette besogne et de la mener à bonne fin, et que le duc[1] ne se fût refroidi dans sa poursuite ou qu’il eût cédé à son frère. Je craignais aussi que les instructions que j’avais envoyées par 290[2] ne fussent pas exprimées d’une manière assez claire ; quelques affaires que j’avais ici me privaient du loisir de prendre toutes les précautions que je prendrais en quelques circonstances. Si je ne me méprends pas sur le caractère du duc, d’après ce que m’en a communiqué votre éminence, le feu qui est allumé entre eux n’aura pas besoin de souffler pour l’animer et le faire continuer de brûler ; mais j’enverrai par Lockhart, à votre éminence, mon opinion sur ce que je crois ultérieurement nécessaire à ce sujet.

« Et maintenant je me vanterai à votre éminence de mon entière tranquillité qui repose sur une confiance fondée dans le Seigneur, car je ne doute pas que, si l’on agrandit cet éloignement[3] et que l’on entretienne ce désaccord, en choisissant avec précaution les personnes que l’on adjoindra à l’affaire, je ne doute pas que ce parti, déjà abandonné de Dieu quant à la dispensation extérieure des miséricordes et déjà odieux à ses compatriotes, ne s’avilisse finalement aux yeux du monde entier.

« Si j’ai occupé trop long-temps votre éminence par cette lettre, vous pouvez l’attribuer à la joie que j’éprouve de l’issue de cette affaire, et je conclurai en vous donnant l’assurance que je ne resterai jamais en arrière pour démontrer comme il convient à un frère et confédéré que je suis

« Votre serviteur,

« OLIVIER P. »


Il est assez probable que le cardinal espérait attraper le puritain, et ce spirituel ministre avait assurément tout ce qu’il faut pour faire des dupes. La lourde rudesse de Cromwell paraissait devoir s’y prêter assez bien. Le 23 mars 1656, un traité fut signé, d’après lequel le roi de France fournissait vingt mille hommes, Cromwell dix mille et une flotte ; ces forces combinées devaient attaquer l’Espagne dans sa partie faible, en Flandre, prendre Gravelines, qui resterait à la France, Dunkerque et Mardyck, dont hériterait l’Angleterre, à laquelle de telles possessions maritimes sont fort désirables. Les dix mille hommes de Cromwell débarquent à Boulogne, « en uniformes rouges tout neufs,

  1. Le duc d’Yorck, frère de Charles II.
  2. C’est un chiffre à la place du nom d’un homme ; probablement la clé en est perdue.
  3. La brouille entre les deux frères et la division du parti royaliste, division que Mazarin fomentait.