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Cromwell et laborieusement improvisés, que Thomas Carlyle s’amuse à comparer en cinq longues pages les labeurs artificieux de la rhétorique et ceux d’une conviction qui se dépêtre lentement au sein d’une diction inexpérimentée et incertaine ; l’étrange commentateur s’écrie « Art du discours ! art du discours ! fantôme rhétorique à deux jambes ! blasphème scandaleux ! avortement de la nature ! va-t’en ! Cède la place à l’intelligibilité, à la véracité de ces paroles, à la splendeur du vrai et à l’héroïque profondeur de cet homme qui parle et qui a quelque chose à dire ! Et toi, singe de la mer morte, rhéteur, ne regarde pas de ton œil louche dans le saint des saints ! Tu ne vas pas jusqu’au fond ! » Quelque jugement que l’on porte sur ce dithyrambe bouffon, il reste prouvé que Cromwell, violent dans l’emploi de sa ruse hardie, était sincère quant à son but, et persuadé de la nécessité fatale de sa mission.

Quant au talent de l’orateur, Cromwell n’a pas la moindre prétention ; il sait ce qui lui manque, il avoue son embarras et son peu d’habileté dans ce genre. « Je n’ai pas étudié, dit-il au parlement, l’art de rhétorique ; je n’ai pas grande liaison avec les rhéteurs ni avec leur marchandise (what they deal with)… des paroles ! — Vrai, messieurs, vrai, notre affaire ici est de parler choses (speah things). La dispensation de Dieu qui est sur nous le veut ainsi… La première chose dont j’ai à parler, c’est la conservation… le droit d’être, le droit de nature… Il faut conserver l’Angleterre ; comment la conserverons-nous ? comment existerons-nous ? C’est ce que je vais examiner. » Sous quelque phraséologie grossière ou mal enchaînée que de telles idées se cachent, c’est de l’éloquence politique toute pure, l’éloquence des choses et des faits. Il frappe toujours au but.

Ayant donc convoqué les communes, coupables, selon lui, d’ébranler sa nouvelle autorité en recherchant trop curieusement les causes de son pouvoir, il leur dit avec beaucoup de simplicité qu’on l’a « porté au trône, qu’on l’a prié de l’accepter, qu’il n’y a plus à reculer aujourd’hui ; » puisqu’on le lui a donné, il faut le lui rendre possible. Après une installation solennelle, un consentement général et un parti pris, il est trop tard pour discuter les bases d’un gouvernement accepté. Que ce parlement un peu pédantesque et qui remue imprudemment de telles questions y prenne bien garde ; la dissolution n’est pas loin. Pendant que « le gouvernement du protecteur, comme dit le Correspondant de Bruxelles, devient plus formidable et plus important qu’il n’a jamais été aux yeux de toutes les nations, » Cromwell, toujours maître de son armée et de ses saints, laissera-t-il vivre ce parlement qui