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avec un très grand soin. Il résulte de ce travail que les circonlocutions ambiguës attribuées à Cromwell ne lui appartiennent nullement.

Ces discours sont fort simples et ne portent aucune trace d’hypocrisie ou de charlatanisme. Il ne dissimule pas son origine ; il n’est qu’un soldat et se regarde comme un soldat de Dieu. Une grande énergie, une clarté parfaite, un besoin ardent et quelquefois extrême de bien faire comprendre et de mettre en relief sa pensée, de fréquentes répétitions de mots, tels en sont les principaux caractères. Il a souvent peine à rendre ce qu’il médite ; on assiste au travail confus d’un esprit qui se cherche, on sent que le métier d’orateur le gêne ; plus l’idée qui le tourmente est profonde, étrange ou élevée, plus les angoisses de cet enfantement se laissent sentir. C’est par une subtilité inadmissible que l’on accuse d’obscurité volontaire les embarras de diction et les périphrases de ce fermier mystique étonné de sa puissance. Un autre genre d’obscurité résulte de l’emploi fervent des paroles bibliques qu’il emprunte surtout à David, Isaïe et Jérémie, et qui donnent aux discours de cet autre Mahomet une couleur tout orientale. Ainsi, dans la salle de Whitehall, le dos à la fenêtre, ayant ses officiers rangés à sa droite et à sa gauche, et devant lui la table au tapis vert entourée des notables puritains qu’il a convoqués, il énumère la série de miracles providentiels dont il a été l’instrument, et entonne tout à coup, comme sur le champ de bataille de Dunbar, le psaume du triomphe : « Oui ! la victoire, s’écrie-t-il, est excessivement grande, et ce que Dieu accomplit est extrêmement haut. La fin de ce psaume frappe à mon cœur, et, j’en suis sûr, aux vôtres : — « Dieu foudroie les montagnes comme les collines, et elles tremblent… Dieu lui-même a sa colline, élevée comme la colline de Bashan, et les chariots de Dieu sont vingt mille et les anges plus de mille, et Dieu demeurera sur cette colline pour toujours ! »

Ensuite il reprend avec sa familiarité d’homme populaire : « Je suis bien fâché de vous en avoir dit si long dans une chambre si étroite, et il fait bien chaud ! » ce qui n’empêche pas les paroles précédentes d’être fort éloquentes, y compris le verset de ce psaume qui « frappe au cœur de Cromwell et de ceux qui l’écoutent. » (It closeth with my heart.)

Quand il veut expliquer son élévation et faire comprendre par quel enchaînement fatal et nécessaire il est parvenu au suprême pouvoir : « Je suis un homme, dit-il (vous le savez ; pour moi, certes, je m’en souviens), qui de mon premier grade ai monté successivement et été porté à des fonctions de confiance plus haute. D’abord capitaine de cavalerie, j’ai travaillé à faire de mon mieux, et Dieu m’a protégé comme il lui a plu. J’ai eu une idée fort simple et ingénue, —