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Cromwell tient plusieurs conférences, où l’on parle beaucoup, et qui n’aboutissent à rien, selon la coutume ; il ne se déclare ni pour la république, ni contre elle, écartant seulement le nom des Stuarts, et réclamant comme nécessaire un pouvoir fort et centralisé.

Pendant ce temps, les terribles matelots puritains balaient la mer, font respecter le pavillon et enivrent le peuple d’orgueil ; les gens de loi et les commissaires de la république vendent les biens nationaux des royalistes réfractaires, et reçoivent les amendes exigées de tous les gentilshommes qui ont servi le roi Stuart. On abuse fort de ce droit d’exaction ; l’avidité s’en mêle, et, grace à la chicane des hommes de loi, plus d’un honnête bourgeois est confondu avec les royalistes ; on spécule sur la terreur publique ; chacun des membres du croupion reçoit dans la matinée trente ou quarante solliciteurs. C’est alors que les chefs de l’armée, qui sont aussi les meneurs du puritanisme, adressent à Cromwell une pétition contre ce débris d’assemblée, et demandent la régénération totale du gouvernement. Le ton de la prière et celui de la menace se mêlaient dans ce document étrange, qui effraya les parlementaires. « La chose est dangereuse, dit Bulstrode à Cromwell ; prenez-y garde, arrêtez cela. » Cromwell n’arrêta rien, tout au contraire. Cette force militaire, son appui et son instrument, allait détruire à son bénéfice les parleurs des communes. Il chargea leur président Lenthall de remercier les officiers, et Carlyle, qui ne manque jamais une occasion de bouffonnerie, s’arrête pour dire à ce pauvre président : « Votre discours, seigneur, a dû vous faire autant de plaisir qu’un bel âne en éprouve en mangeant des chardons ! »

L’assemblée comprend le mécontentement populaire, prévoit le sort qui lui est réservé, et, après avoir travaillé pendant des mois et des années avec une processionnelle lenteur à l’acte constitutif, elle s’éveille tout à coup, et veut achever ce bill à l’instant même. Il faudrait satisfaire tout le monde ; la chose est difficile. Presbytériens qui voudraient revenir au pouvoir, hommes de loi qui voudraient le garder, officiers puritains qui demandent avant tout le calvinisme pur et l’examen libre, ne s’accordent pas aisément, et le bill qui leur plairait également est une impossible chimère. On ne convient que d’un fait et d’une clause agréables à tous les membres de l’assemblée, c’est que le croupion lui-même, transformé en comité électoral, décidera de la validité des élections, manière ingénieuse de se continuer et de se perpétuer. De nouvelles conférences se tiennent chez Cromwell, et là les officiers, devenus plus véhémens, jurent, à la barbe des membres