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sont plus dangereux pour la cause embrassée par le poète que pour les ennemis qu’il attaque ; et c’est pour cela qu’il nous appartient de les blâmer sans ménagement. Nous ne voulons pas que les défenseurs honnêtes de la liberté véritable puissent être détournés de leur but par ces violences qui les indignent, et que ce parti constitutionnel, à peine formé, divisé encore sur bien des points, soit ébranlé dans sa foi à l’heure des luttes décisives. Nous ne voulons pas nous-mêmes perdre cette confiance qui nous anime et être entraîné peut-être à diminuer la valeur des choses. J’allais oublier de dire, par exemple, que M. Prutz est toujours, malgré tant de fautes commises, un esprit actif, laborieux, ardent, qu’il a rendu et peut rendre encore d’incontestables services. Son Histoire du Journalisme en Allemagne, qui l’occupe aujourd’hui, et dont un volume a paru, est un excellent travail qui demandera, quand il sera complet, une étude attentive ; je ne pardonne pas à M. Prutz de m’avoir fait oublier un instant ses titres sérieux au milieu des remontrances si nombreuses que lui devait une critique sincère. Pourquoi ne se dévouerait-il pas désormais à ces fortes études ? Il y a chez lui l’étoffe d’un publiciste ; ce sont là ses premières études, celles que lui indiquait sa vocation véritable. La poésie politique, au contraire, l’a mal servi ; ses deux premiers recueils étaient médiocres, et cette comédie achèvera de discréditer sa muse. Si M. Prutz devait, comme nous le désirons, revenir tout entier à ces travaux d’histoire et de philosophie, nous n’aurions pas insisté si vivement sur sa tentative aristophanesque ; mais cela était nécessaire. M. Prutz annonce qu’il va persévérer dans cette voie ; il veut tenir toutes les promesses de la parabase et fonder en Allemagne le théâtre dont il s’imagine avoir posé la première pierre indestructible. C’était le devoir d’une critique franche et droite de lui signaler son erreur ; il importait de proscrire énergiquement cette satire injurieuse, cette comédie démagogique, impossible à nos mœurs, contraire à la noblesse de l’art, et fatale surtout aux intérêts si sacrés de la cause libérale en Allemagne.


SAINT-RENÉ TAILLANDIER.