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sur la satire, Voltaire dénonce ces honteuses habitudes qui déshonorent les lettres ; il se rappelle que ni en Allemagne, ni en Angleterre, ni en Italie, les écrivains n’ont renoncé à la dignité de la plume, et il s’écrie : « Les pays qui ont porté les Copernic, les Ticho-Brahé, les Otto Guérick, les Leibnitz, les Bernouilli, les Wolf, les Huyghens ; ces pays où la poudre, les télescopes, l’imprimerie, les machines pneumatiques, les pendules, etc., ont été inventés ; ces pays que quelques-uns de nos petits-maîtres ont osé mépriser parce qu’on n’y faisait pas la révérence si bien que chez nous ; ces pays, dis-je, n’ont rien qui ressemble à ces recueils… vous n’en trouverez pas un seul en Angleterre, malgré la liberté et la licence qui y règnent. Vous n’en trouverez pas même en Italie, malgré je goût des Italiens pour les pasquinades. » Eh bien ! l’Allemagne voudrait-elle donner un démenti à l’éloge de Voltaire ? Si la pièce de M. Prutz n’était pas énergiquement condamnée par l’opinion, si l’auteur fondait, comme il y prétend, ce théâtre injurieux et effronté, que le moment serait mal choisi pour cela ! et combien cette direction de la poésie serait aujourd’hui plus funeste que jamais ! L’Allemagne s’agite ; mille partis sont aux prises, protestans, catholiques, amis des lumières, libéraux, démagogues, athées, tant d’écoles, tant de sectes, tant d’armées en révolte ! A la faveur de ces troubles, d’où sortiront sans doute de grands biens, prenez garde, ô poètes, d’introduire la haine ; que ces conflits, utiles et féconds pour le renouvellement de l’Allemagne, ne coûtent rien à la sainteté de la Muse !

Pense-t-on d’ailleurs que de telles armes seraient victorieuses et qu’elles serviraient efficacement la régénération politique de ce pays ? Ceux qui s’intéressent à la cause libérale au-delà du Rhin souffrent bien de ces tristes violences. La pièce de M. Prutz a été poursuivie d’abord, et l’auteur accusé de lèse-majesté ; mais la poursuite vient d’être abandonnée, il y a quelques jours, sur un ordre exprès du roi de Prusse. Je le comprends sans peine, ces désordres font plus de bien que de mal à l’autorité ; ils décourageraient, si cela était possible, les défenseurs sérieux du mouvement constitutionnel. Nous sommes un peu portés en France à voir dans ce travail de l’Allemagne une suite, une régularité, qu’il aura un jour sans doute, mais qui lui fait encore défaut en bien des endroits. Eh bien ! quand nous rencontrons de telles œuvres, un doute nous arrête, et cette foi sympathique avec laquelle nous suivions ses destinées hésite et se trouble en nous. Ce que nous ressentons ainsi, comment tant de cœurs dévoués ne l’éprouveraient-ils pas plus vivement chez nos voisins ? Répétons-le, ces excès