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et un code d’instruction criminelle ; l’Autriche fera construire plusieurs maisons de jésuites ; le roi de Bavière a déjà composé lui-même, dans le style qui lui est propre, une méthode de lecture pour le royal bambin ; le roi de Hanovre lui envoie un titre national, une charte, une constitution, sur un fort beau parchemin, mais déchiré cela servira à lui faire un tambour. Toutes ces plaisanteries n’ont pas besoin d’explication, les allusions sont claires, et quand M. Prutz ne sort pas des limites permises de la satire, quand il châtie par le ridicule cet esprit illibéral contre lequel l’Allemagne entière réclame, sa raillerie, plus fine, plus adroite, n’inspire pas de répugnance. Par malheur, ces bonnes inspirations sont rares ; l’auteur redescend bien vite aux trivialités, aux détails injurieux, aux bouffonneries grotesques ou cyniques. Comment exprimer, dans une langue honnête, l’expédient que propose le docteur pour tirer Schlaukopf d’inquiétude, et prévenir toutes les suites de l’accouchement malheureux de Germania ? Je ne m’en charge pas. Ces gaillardises rabelaisiennes, assaisonnées encore de gros sel germanique, seraient difficilement acceptées chez nous par le lecteur le moins scrupuleux. On s’indignerait surtout quand on verrait les plus beaux noms de l’antique poésie, les plus nobles filles de l’art grec, Antigone, Médée, jetées sans pitié et comme perdues au milieu de ces facéties effrontées.

La scène suivante amène deux hauts personnages qui viennent consulter le docteur. L’un s’appelle le Romantique et l’autre le Philosophe ; on verra trop clairement tout à l’heure de qui il est question. Le Romantique prend le premier la parole, et expose au docteur le triste état de son esprit ; il a beaucoup produit jadis, mais aujourd’hui son intelligence est épuisée, son imagination s’éteint ; il lui est impossible de donner le jour à une œuvre qui puisse vivre une heure seulement. C’est pour cela qu’il s’adresse au docteur. « Apprenez-moi, maître, comment je retrouverai le secret de ces créations heureuses qui ont fait de moi le poète favori de la cour ? — Vous venez trop tard, répond le docteur ; à un tel mal je ne sais point de remède : renoncez pour toujours, il le faut, à ces inspirations vraies où brillait une étincelle de la flamme sacrée. La révolte des Cévennes, Camoens, Une Vie de Poète, Sternbald, tout cela est fini ! Tieck est le favori du roi, ce n’est plus l’amant de la Muse. Résignez-vous, vieillard, votre maladie est incurable. Toutefois prenez ce flacon, il peut vous rendre service. Quand vous verrez naître près de vous une œuvre éblouissante de vie et de jeunesse, jetez un peu de cette poudre sur le père et sur l’enfant : vous défigurerez l’enfant, vous découragerez le père.