Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/865

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

va reprendre sa place à la tête de la procession. La voiture s’est arrêtée à la porte du docteur Schlaukopf entre le premier ; derrière lui s’avancent les esclaves portant le trône où est assise Germania. La jeune princesse est blonde, dit l’auteur ; elle a la figure légèrement grasse et souriante, la bouche grande, les yeux d’un bleu pâle ; elle porte une robe d’étoffe anglaise, un châle fabriqué en France, un chapeau de paille d’Italie. Le docteur la complimente en mauvais français, et elle y répond le plus gracieusement qu’elle peut, tandis que les esclaves, murmurant à voix basse un chant d’espérance, invoquent le nouveau-né, l’avenir de la patrie souffrante, l’avenir bienfaisant qui brisera leurs fers.

Ainsi finit le premier acte. Avec cette dernière scène, l’action, il faut l’avouer, est engagée vivement ; l’intérêt s’éveille. Qu’est-ce ? que va-t-il arriver ? Quel sera ce bienfaiteur promis par Germania à la patrie inquiète ? Sans les grossièretés si fréquentes des détails, l’invention serait bonne : il y a du Rabelais dans cette bizarre allégorie. Au moment où tant de promesses solennelles ont éveillé l’attente publique, ce n’est pas une mauvaise idée de nous présenter Germania en mal d’enfant. Puisse la délivrance être heureuse, et que le nouveau-né réponde aux espérances de la patrie ! Nous saurons tout à l’heure quel sera ce nouveau-né : en attendant que le poète poursuive, laissons-le profiter de l’entr’acte et adresser la parole au public. C’est ce que faisait Aristophane dans les anapestes de la parabase ; M. Prutz est un imitateur trop fidèle du maître pour oublier les privilèges de l’intermède antique. Hélas ! pourquoi faut-il qu’il s’attache si fort à la partie extérieure de son modèle, et si peu vraiment à l’art lui-même, à la grace du langage, à l’immortelle poésie ? Mais ajournons nos objections, et laissons la parole au poète ; aussi bien il est impatient, il a mille choses à dire, son cœur déborde.

D’abord M. Prutz, je crois le comprendre, est un peu inquiet du succès de sa pièce, inquiétude qui ne durera pas, dernier reste de timidité et de modestie dont il sera vite guéri. Il voudrait justifier la hardiesse de ses facéties, et ne trouve rien de mieux pour cela que d’en accuser le lecteur lui-même, ou d’en faire au moins son complice. « Il y a long-temps, lecteur, que vous nous disiez : Votre poésie lyrique, vos hymnes politiques, vos cris de guerre et de bataille, ce n’est pas de la poésie ; élevez-vous de la polémique des journaux jusqu’à la vraie inspiration, et créez des œuvres que l’art puisse reconnaître ! Cette œuvre, la voici. C’est une comédie, une comédie politique ; lisez-la et riez franchement. » Je me souviens d’avoir adressé