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sincérité dans ses vers[1]. M. Prutz a voulu être poète, il le veut encore : il y met une sorte d’obstination qui atteste l’énergie de son humeur et qui se traduit souvent en de vigoureux emportemens ; mais la simplicité, mais la franchise du langage, l’invention saine et naturelle, ne les lui demandez pas. Quand il quitta brusquement la philosophie et la critique pour les travaux de l’imagination, le succès des vers de M. Herwegh l’avait enivré ; il prit cette excitation pour l’appel impérieux de la Muse, et convoita désormais la bruyante renommée des Poésies d’un vivant. Ce qu’il y avait d’énergique dans les vers de M. Prutz lui venait de M. Herwegh ; ajoutez à ces inspirations d’emprunt un travail de tous les jours, une science réelle du langage et du rhythme, une habileté très apprise, toute une rhétorique complète, et vous saurez de quoi se compose le talent de M. Prutz. Aujourd’hui, c’est lui qui prend les devans ; il ne se résigne plus à être le débiteur de M. Herwegh, il prétend, au contraire, montrer à la poésie allemande des routes inconnues et fonder le théâtre politique. Quoi donc ! Faut-il croire que l’imagination s’est éveillée une bonne fois dans l’esprit persévérant du critique, et que le poète nouveau-né va enfin marcher seul ? Non, le critique, l’érudit va reparaître ici plus que jamais ; M. Prutz n’aura fait que changer de maître. Cette comédie politique, cette œuvre si difficile et qui demande, nous l’avons dit, une forme nouvelle enfantée hardiment par une imagination libre, il ira tout simplement l’emprunter à la Grèce antique ; il dérobera Aristophane. Au lieu d’une création originale, née, comme il convient, du mouvement de la vie moderne, nous aurons une étude, énergique peut-être, obstinée, opiniâtre, sur un modèle qui ne saurait être reproduit ; nous n’aurons pas la comédie que nous cherchions et que l’auteur annonce.

M. Prutz avait-il bien réfléchi quand il prit Aristophane pour modèle ? Est-ce pour obéir aux conseils d’une méditation sérieuse qu’il se décida à faire entrer les idées, les sentimens, les passions de l’homme moderne dans la forme de la comédie ancienne ? Je ne le pense pas. Les objections, pour peu qu’il y eût songé, se fussent présentées en foule à son esprit et l’eussent détourné d’une si étrange entreprise. Quoi donc ! Aristophane en Allemagne ! l’ennemi de Cléon transporté tout à coup dans une société si différente et autorisé par le poète à renouveler, après plus de deux mille ans, ces hardiesses vraiment extraordinaires que tous les commentaires du monde n’expliqueront

  1. Voir la livraison du 1er juin 1844, la Poésie et les Poètes démocratiques.