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de comédie politique. A l’époque où Pierre Gringoire et les enfans sans souci raillaient le pape Jules II sur les tréteaux des halles, ces tentatives aristophanesques se produisaient aussi au-delà du Rhin, et les poètes de Nuremberg, Rosenplüt, Hans Sachs, s’efforçaient de traduire sur leur scène naïve les évènemens contemporains, les luttes de l’Allemagne avec la papauté, tout le drame passionné de la réforme ; œuvres bizarres, curieuses pour l’historien, mais d’où la poésie est absente. Ni M. Prutz, ni M. Herwegh ne pouvaient trouver là d’utiles indications ; la médiocrité de ces compositions les avertissait au contraire de chercher en eux-mêmes la forme nouvelle d’un art nouveau. Encore une fois, il fallait ou renoncer à la prétention de créer en Allemagne la comédie politique, ou affronter courageusement les difficultés du problème et se souvenir enfin des conditions impérieuses de l’art et de la vraie poésie. Quand je voyais tous ces écrivains chercher dans les gazettes des idées et des rimes, quand je les voyais méconnaître si résolument les lois éternelles de l’invention, je ne pouvais guère m’imaginer que ce bruyant groupe des poètes démocratiques, si ambitieux et si irréfléchi qu’il fût, prétendit donner un jour à l’Allemagne ce théâtre dont je viens de parler. Voici pourtant un de ces écrivains, le plus hardi et le plus confiant, M. Prutz, qui se glorifie déjà d’avoir réussi. Son œuvre, quoique diversement jugée, a obtenu de nombreux suffrages ; on a félicité l’auteur d’avoir ouvert une route féconde ; de plus, cette comédie s’adresse aux passions les plus vives du moment, elle croit embrasser la situation présente d’une façon complète, elle prétend donner un tableau exact de la Prusse et de l’Allemagne entière. De quelque côté qu’on l’envisage, elle mérite donc une attention sérieuse. Le critique est attiré par la question littéraire, le publiciste par l’événement politique. Que ce soit une tentative intéressante pour l’art, ou seulement un document de plus pour la situation de l’Allemagne, la comédie de M. Prutz a droit d’être discutée et jugée.

A ne considérer d’abord que le problème littéraire, le nom et les précédens travaux de M. Prutz m’inspirent, je l’avoue, une assez grande défiance, et le premier regard jeté rapidement sur son œuvre ne confirme que trop mes scrupules et mes craintes. M. Prutz a commencé par être un journaliste ardent et passionné ; il appartient à la jeune école de Hegel, et il a pris une part active à la rédaction des Annales de Halle. Sa vocation pour la poésie ne s’est décidée que long-temps après ses premiers travaux philosophiques ; vocation factice, on le voyait trop, et nous avons déjà signalé cette absence de naturel et de