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qu’elle se trouve placée, si l’on excepte la théorie communiste, une famille nombreuse, ayant plus d’exigences à satisfaire, sera toujours plus exposée au fléau de l’indigence. L’économie politique peut donner des conseils, la bienfaisance doit distribuer des secours : là s’arrêtent leurs moyens. Souvent, hélas ! la débauche aggrave la cause primitive de la misère, et les familles tombent alors dans la plus affligeante abjection. Les adversaires de la liberté du travail ont cependant l’habitude d’expliquer tous les maux par les effets de la concurrence.

Je ne cherche point à déguiser le mal ni à grossir les améliorations réalisées. Dieu me préserve d’accepter comme définitif et irrémédiable l’état de choses actuel ! A côté du dénuement matériel, j’aperçois des besoins de l’ordre moral d’une nécessité encore plus impérieuse. Cependant on est heureux de pouvoir constater que des résultats avantageux ont été obtenus déjà, soit sous l’influence d’institutions salutaires, soit par l’effet de quelques lois de discipline ; ils doivent soutenir les efforts et engager à les poursuivre. Un examen attentif et impartial de la situation conduit inévitablement aux conclusions suivantes : l’aisance universelle s’est accrue depuis un demi-siècle ; la somme du bien s’est augmentée, et la somme du mal s’est amoindrie ; la grande majorité de la classe ouvrière a participé au progrès général. Ces faits se sont accomplis sous le régime de la liberté du travail, au sein de l’organisation industrielle qui s’inspire de ce principe. Il faut savoir maintenant ce qu’on peut lui demander encore et quelles améliorations un avenir prochain peut légitimement en attendre.


V. — CONCLUSIONS.

Si on étudie les dispositions actuelles des ouvriers, on s’aperçoit qu’ils sont préoccupés du désir d’améliorer leur sort et d’accroître leur bien-être, désir légitime, pourvu qu’il soit réglé, et que le goût du bien matériel n’étouffe point dans l’ame les instincts moraux. Tous les systèmes d’organisation que j’ai discutés, sauf de rares exceptions, se proposent d’une manière trop exclusive, on l’aura remarqué, la recherche du bonheur physique. Travailler moins et gagner plus, voilà le résumé de leur programme ; ce programme est séduisant, mais il est dangereux, car il s’adresse à des esprits qu’on entraîne aisément. Aussi plus d’une fois s’est-il traduit en des prétentions intempestives ou démesurées. A tout prendre, cependant, l’agitation en vue du bien-être est préférable à l’agitation politique que les partis cherchaient à entretenir parmi les ouvriers il y a dix à douze ans. On leur parlait alors du gouvernement et de leurs droits politiques ; on leur citait l’exemple des classes moyennes. Étrange confusion ! lorsque les classes moyennes commencèrent à s’affranchir des liens de la féodalité territoriale, leur situation même les poussait vers le gouvernement. Aux conditions de loisir qu’elles avaient gagnées par l’industrie et par certaines professions libérales, il leur