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industrie. On a dit que le tisserand de Roubaix et de Turcoing était généralement moins malheureux que celui de Lille. Cette remarque est encore juste aujourd’hui. A Sedan, la situation de l’ouvrier est meilleure qu’à Reims, à Lyon qu’à Nîmes ou à Avignon. Le salaire et l’état physique dépendent aussi de la nature du travail. Toutefois le plus fatigant, et celui qui assujettit l’homme aux inconvéniens soit de l’humidité, soit d’émanations délétères, soit d’une attitude incommode, est souvent le plus mal rétribué, parce qu’il exige généralement une habileté moindre. La durée du travail est moins longue pour les ouvriers de la plupart des manufactures que pour ceux qui travaillent librement chez eux, en famille, comme à Lyon, à Saint-Étienne et Saint-Chamond. Cependant le sort de ces derniers est préférable ; ceux qui consacrent une partie de l’année aux travaux des champs et une autre aux travaux des fabriques paraissent aussi dans des conditions meilleures.

Telles sont les différences les plus remarquables, celles qui ressortent le plus dans les documens recueillis depuis plusieurs années. Si elles s’opposent à un jugement trop absolu, trop uniforme, elles permettent néanmoins de grouper certaines industries et de constater certains résultats. Dans les établissemens métallurgiques et dans les verreries et les cristalleries, la situation des ouvriers est satisfaisante. La construction des chemins de fer active le mouvement de nos forges. Nos verreries éprouvent bien de temps en temps des ralentissemens fâcheux, jamais cependant elles n’ont à déplorer les perturbations désolantes dont d’autres industries ont été frappées. Nos grands établissemens de cristallerie sont des modèles d’une nonne organisation intérieure. Dans l’industrie manufacturière même, où le domaine de la misère est encore si étendu, d’heureuses modifications se sont opérées sur plusieurs points depuis vingt-cinq ans. Le bien, il est vrai, n’est pas général, mais les adversaires de la liberté le méconnaissent, même quand il existe. Sur certaines places, l’état moral et l’état physique des travailleurs se sont incontestablement améliorés. Les tisseurs de soie à Lyon, par exemple, se relèvent peu à peu de leur ancienne situation, dont l’abrutissement était devenu proverbial ; ils ont de meilleures habitudes, une vie plus régulière. L’industrie de la laine présente aussi, en divers endroits, des changemens favorables. Plusieurs grandes fabriques de draps à Sedan, à Elbeuf et ailleurs se distinguent par une excellente discipline et un bon vouloir éclairé à l’égard du travailleur. L’industrie du coton est la moins bien partagée. Le tisserand demeure exposé au dénuement, aux vices, aux souffrances qu’ont tristement signalés déjà les patientes recherches de M. Villermé.

Quelle est la cause du mal qui afflige la population de certaines fabriques ? Il faut s’en prendre ici, du moins en partie, pour les familles nombreuses, pendant que les enfans sont en bas âge, à l’insuffisance des salaires rapprochés des besoins de chaque jour ; mais la rétribution du travail ne peut pas être calculée sur le nombre des enfans. Sous quelque régime industriel