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son influence, sur sa responsabilité, comme sur la vertu des institutions dans leurs rapports avec la moralité et la liberté des peuples.

Le tableau qu’il trace de la vie industrielle nous paraît également manquer d’exactitude. Après avoir rappelé les états sociaux par lesquels les peuples ont passé, M. Dunoyer s’applique à démontrer que le bonheur suit les progrès de l’industrie. Je n’entends pas contester absolument cette proposition qui contredit le brillant paradoxe de Rousseau ; mais, quand M. Dunoyer passe de la spéculation à l’étude des faits, je ne puis consentir à suivre son apologie jusqu’au bout. Les appréciations ne sont ni complètes ni impartiales ; l’observation a seulement porté sur une partie des élémens. La vie industrielle développe certains côtés de l’activité humaine ; elle les développe à sa fanon, sous certaines formes et en suivant des lois qui lui sont particulières. Le premier mérite de l’esprit industriel, c’est de stimuler l’effort de l’homme, de secouer sa torpeur, de l’arracher à l’indolence et aux maux dont elle est la source ; il soutient, il développe l’énergie individuelle, et, en dirigeant nos forces vers un but commun, il conduit à ces grands résultats qui accroissent la sphère des conquêtes sur le monde physique et rendent véritablement l’homme le roi de la nature. Voilà de grands et sérieux avantages. L’industrie accroît-elle dans une égale proportion le cercle moral de l’individu ? Les faits ordinaires nous montrent que, si elle augmente son activité, c’est en vue de lui-même et de son propre bien ; elle ne lui met pas devant les yeux un noble but étranger à son intérêt personnel. Elle crée des volontés actives, infatigables ; elle ne produit guère ces grandes personnalités qui n’aspirent à s’élever que pour agir plus loin autour d’elles, qui recherchent l’importance morale plutôt que la fortune. L’esprit industriel porte l’homme vers les détails, il l’habitue à tenir grand compte des petites choses ; s’il le rend plus habile, plus clairvoyant pour certaines rouvres, il limite sa vue et le détourne des idées générales.

En provoquant au travail, l’industrie exerce une influence salutaire ; le travail est moral de sa nature ; il est ennemi du désordre et contient les passions. Le spectacle des fortunes qu’il édifie est un spectacle fortifiant et un encouragement utile. Cependant, à côté de ces succès laborieux dont l’œil saisit l’origine et les développemens, un siècle industriel ne présente-t-il pas aussi des fortunes rapides, nées d’un hasard, d’un mouvement factice, qui ne supposent ni efforts préalables, ni valeur personnelle ? N’est-ce pas là un mal moral très profond ? Tous les temps, tous les principes, peut-on dire, offrent de pareils exemples et de semblables accidens ; oui, mais la portée s’en trouve contenue dans un cercle plus ou moins large. Quand ces exemples s’adressent directement aux masses, ils sont plus pernicieux ; ils tendent à arracher des esprits abusés au solide terrain du travail persévérant, de l’ordre, de l’économie, pour les jeter dans le tourbillon des affaires aléatoires et dans les incertitudes du jeu industriel. Ces distinctions et beaucoup d’autres, également importantes, soit de l’ordre moral, soit de