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ouvriers, et rédigés par des ouvriers même, ont souvent donné aux radicaux l’exemple d’une louable modération. Les rédacteurs de ces recueils proposent, au nom des travailleurs, un mode d’organisation de l’industrie que son origine même recommande à l’attention. Ce système considère aussi l’association comme la seule garantie d’une juste récompense du labeur accompli ; il prend pour formule ces mots : association du capital et du travail ! Que de fois cette phrase a été prononcée sans être suffisamment comprise ! Disons-le d’abord le principe est juste. Si le travail et le capital étaient séparés l’un de l’autre, ils resteraient stériles et improductifs ; mais cette idée, vraie en elle-même, est altérée par les applications proposées. Quelques mots la replaceront sous son véritable jour.

Le travail a besoin d’un capital qui le féconde ; comme les ouvriers n’en ont pas, ou n’en possèdent qu’un insuffisant, ils sont obligés de se mettre en rapport avec les capitalistes. De ce rapprochement naît la nécessité d’une convention et d’un partage. Unis pour produire, le capital et le travail doivent recueillir dans les fruits la part déterminée par eux comme condition de leur accord. Si l’ouvrier touche la sienne sous forme de salaire, elle sera nécessairement réduite, parce qu’elle est certaine, parce qu’on la paie avant de connaître les résultats définitifs d’une spéculation et indépendamment de toute perte possible. La portion qu’il sacrifie sur un dividende éventuel équivaut à une prime d’assurance ; elle le met à l’abri des suites d’une mauvaise affaire. Serait-il selon l’intérêt de l’ouvrier de renoncer au salaire certain pour une association sans réserve avec le capital ? En aurait-il les moyens ? Dans la plupart des industries, on le sait, il faut attendre un temps plus ou moins long avant de recueillir des bénéfices ; l’ouvrier a peu ou point d’avances ; chaque jour doit lui fournir son pain et celui de sa famille. Passons cependant sur cette grave objection. Qu’arrivera-t-il si, au jour du règlement, l’entreprise se trouve en perte ou seulement en équilibre ? Qui nourrira l’ouvrier dont les ressources sont épuisées ? qui soutiendra sa famille ? Des cas se rencontrent, surtout dans les spéculations les moins hasardeuses, où une société plus étroite que celle qui résulte du salaire peut devenir avantageuse aux maîtres comme aux ouvriers ; on en cite déjà des exemples, et l’avenir les multipliera ; mais il faut alors que l’ouvrier possède déjà un petit capital, il est même bon pour lui de ne pas hasarder l’entière rémunération de son concours et de continuer à en recevoir une partie sous la forme assurée du salaire. Tout dépend de faits particuliers, de circonstances spéciales ; ni ces faits, ni ces circonstances, ne se prêtent à une généralisation théorique. Les maîtres et les ouvriers sont seuls cri mesure de discerner leur intérêt. Une contrainte légale serait un présent funeste pour les uns et pour les autres. En dehors de l’accord volontaire, on ne recueillerait que des déceptions et du désordre. Concluons, en dernière analyse, que si l’association du capital et du travail est susceptible d’être utilement introduite, en une certaine mesure, dans notre régime industriel, elle ne pourrait être, sans une