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On doit néanmoins, au milieu du mouvement de l’école radicale, faire aussi la part des passions et des entraînemens politiques. Les avances ont-elles toujours été sincères ? En pressant le gouvernement d’agir, n’a-t-on jamais eu l’intention secrète de lui susciter des embarras ? N’a-t-on jamais pensé à le mettre dans cette alternative ou de sortir de son rôle pour suivre une impulsion téméraire, ou de donner, en résistant à cette impulsion, l’occasion de dire aux classes laborieuses qu’il se préoccupait peu de leur sort ? Plus d’une fois le ton des radicaux a permis de leur imputer cette duplicité mal déguisée ; mais qu’importent les intentions ? Il s’agit pour nous de voir si la polémique de l’école radicale a fourni de nouveaux et bons élémens à la solution du problème.

J’y ai vainement cherché un système complet, homogène, qui pût satisfaire des esprits sérieux et positifs. Tout se réduit à peu près à une critique virulente, poussée fréquemment au-delà de toute mesure et de toute vérité, et à quelques propositions vagues, déclamatoires. Rien de plus facile que de s’élever contre la concurrence : on ferme les yeux sur le bien ; on généralise des accidens partiels, et, méconnaissant cette vérité que l’homme abuse des meilleures choses, on attribue au principe de la liberté un mal qui a sa source dans l’homme même. Il ne suffit pas pourtant d’accuser l’ordre actuel, et d’invoquer une révolution sociale et économique ; il ne suffit pas de s’écrier L’association et la solidarité universelles sont un remède infaillible à tous les maux ; il faudrait encore nous montrer dans une discussion calme et solide les moyens de constituer cette association solidaire sans nuire au développement de l’individu, et sans affaiblir l’industrie elle-même ; il faudrait nous prouver qu’une fois établi, le nouveau régime agirait efficacement dans le sens voulu, et ne tendrait pas à replacer le travail sous un joug dont la révolution française était si fière de l’avoir affranchi. Oui, sans doute, l’association est un élément de puissance, et la solidarité peut devenir un utile appui contre les vicissitudes de l’industrie ; mais on prétend faire violence aux volontés, on aspire à tirer du principe plus qu’il ne peut rendre, on le presse sans mesure, et il éclate entre des mains imprudentes. La stérilité de la polémique radicale, malgré des efforts ardens et répétés, contribue à démontrer tout ce qu’il y a de chimérique dans l’organisation du travail, quand on la comprend en dehors du principe de la liberté de l’industrie disciplinée par des lois spéciales et favorisée par des institutions prévoyantes. Je passerais volontiers sur la faiblesse des doctrines, si elles n’étaient pas de nature à répandre parmi les classes ouvrières des enseignemens superficiels qui n éclairent point l’esprit et éveillent des convoitises dangereuses. Ainsi, pendant que d’un côté l’école fait une guerre quelquefois légitime à des sentimens de cupidité qui se produisent sous une certaine forme, elle en favorise d’un autre côté la propagation au milieu des masses sous une forme différente. Si les radicaux tiennent à passer pour les amis sincères et désintéressés des travailleurs, ils doivent s’abstenir de flatter leurs passions et leurs mauvais instincts.

Quelques recueils consacrés particulièrement à la défense des intérêts des