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L’école radicale nous a paru du reste extrêmement divisée sur la question du travail. Néanmoins, malgré ses dissidences intérieures, un signe remarquable caractérise assez généralement ses efforts, et les revêt d’une certaine uniformité. On semble d’accord pour sommer le gouvernement d’organiser le travail et de résoudre par des lois le problème économique. J’aperçois, il est vrai, des réserves sur la constitution du pouvoir politique qui serait le mieux en mesure de devenir le directeur général de l’industrie ; mais le trait principal n’en subsiste pas moins : la tendance prononcée à conférer au gouvernement une action considérable. Les uns demandent que le pouvoir central devienne le régulateur suprême de la production, et fonde des ateliers sociaux ; les autres soutiennent qu’il doit assurer du travail aux ouvriers, et fixer les salaires, comme s’il disposait de toutes les influences qui en occasionnent les fréquentes variations.

Cette attitude nouvelle de l’école radicale, cette réaction inattendue contre les principes de liberté, ne sont pas les faits les moins significatifs de notre époque, ni les moins utiles à méditer. Le pouvoir est loin de chercher à sortir du cercle de son action ; il ne prétend point devenir l’arbitre quotidien et responsable de l’industrie, et maîtriser des conditions sur lesquelles il ne peut exercer qu’une influence indirecte. Il résiste à des sollicitations multipliées ; il répudie une part trop étendue, contraire aux vrais principes, qui dispenserait l’individu de prévoyance, diminuerait ses efforts personnels au grand préjudice de sa dignité morale, et ne pourrait pas réaliser des espérances follement conçues. D’où viennent, au contraire, les sollicitations nouvelles des radicaux ? Si nous nous reportons au-delà de la révolution de juillet, le parti libéral n’aurait point songé à mettre ainsi entre les mains d’un gouvernement la direction du travail, à lui livrer l’industrie organisée et dépendante. Quelle opposition eût alors soulevée une prétention pareille, si elle avait osé se produire ! Que s’est-il donc passé ? Est-ce que l’école radicale renonce à ses antécédens ? Non ; mais elle a subi l’influence des évènemens même contre lesquels elle a inutilement protesté. Sous la restauration, une défiance irrésistible s’éveillait au sein du pays devant chaque manifestation du pouvoir, défiance légitime, car le gouvernement, malgré des services réels et un désir de bien administrer auquel on n’a pas encore rendu pleine justice, se posait politiquement en ennemi de la société renouvelée ; il se montrait incapable de la comprendre et de la diriger. La révolution de juillet a mis fin à cet antagonisme : elle a conquis un gouvernement pour les idées nouvelles et les nouveaux intérêts. Les conséquences de ce grand changement, qui constituent la force morale de l’établissement de 1830, éclatent jusque dans le langage de ses adversaires. Si l’esprit de défiance n’a pas été étouffé, il est devenu moins vif, moins général. On a un peu perdu l’habitude de regarder le pouvoir comme nécessairement ennemi. C’est grace à cette transformation lente et profonde de l’opinion publique qu’a pu se produire l’idée d’accroître l’action du gouvernement dans l’ordre des intérêts industriels.