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a été éprouvée ; ils n’ébranleront point l’édifice social, ils ne rallieront pas sous leurs drapeaux vieillis de nombreux prosélytes. L’école a même perdu de son terrain depuis quelques années : ses publications deviennent plus rares, la curiosité qui les faisait lire d’abord s’est bientôt rebutée d’une théorie sans justesse et sans nouveauté.

Une autre école, celle de Fourier, prend une part plus active à la discussion du problème économique. Deux écrits viennent d’analyser et de trier les vues du maître sur l’organisation du travail : l’Organisation du Travail, d’après la théorie de Fourier, par 1M. P. Forest, — l’Organisation du Travail et l’Association, par M. Math. Briancourt. Sans vouloir revenir ici sur l’appréciation générale du fouriérisme[1], je me borne à considérer le côté industriel du système. L’organisation imaginée par Fourier doit, si l’on en croit ses disciples, rendre le travail attrayant, entraîner passionnément les hommes sans le secours de la morale et de la faim. Je crains plutôt qu’elle ne soit de nature à conduire à la négligence, à l’oisiveté. L’homme se sent porté à ménager sa peine, s’il n’est mû par un stimulant énergique, tel que la nécessité de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, le désir d’améliorer son état, d’assurer son avenir. Fourier rejette ce puissant mobile. Est-il parvenu à lui en substituer un autre dont l’influence soit plus déterminante et meilleure pour l’individu et pour la société ? Je le cherche vainement dans les détails très compliqués de sa combinaison sociale. J’y trouve des analyses ingénieuses et des moyens secondaires d’influence ; mais ni les groupes et les sous-groupes, ni les intrigues émulatives, ni la passion de l’unitéisme, ni toutes les conditions prétendues du travail attrayant, n’offrent rien qui paraisse devoir exercer sur l’individu une impulsion soutenue et le pousser à l’accomplissement certain et vigilant de son devoir. Assuré contre les suites de son indolence, il ferait le moins de besogne qu’il pourrait ; on serait bientôt contraint d’en revenir aux stimulans actuels, sous peine de voir les travaux délaissés et l’homme n’être plus que le roi fainéant d’une nature improductive et envahissante. Les lois de la morale et les besoins de la vie restent encore le frein le plus solide et l’aiguillon le plus sûr.

L’auteur d’une des brochures dont nous venons de parler, M. Forest, s’est efforcé d’atténuer les bizarreries mêlées aux conceptions du génie de Fourier ; il a ménagé les susceptibilités des lecteurs étrangers à la doctrine. Il déclare, du reste, sans façon, compter sur la prochaine réalisation d’une commune sociétaire. « Pour cela, dit-il, il ne faut que des hommes et des capitaux. Des hommes, il n’en manque pas en France qui ne demandent pas mieux que d’abandonner une position ennuyeuse et incertaine pour essayer d’un nouveau genre de vie. » C’est vrai, le nouveau a des attraits puissans ; mais le nouveau devient bientôt vieux, et il faudrait des changemens continuels

  1. Cette appréciation a été faite dans un travail développé ; voyez, dans la livraison du 1er août 1845 : Des Idées et de l’École de Fourier depuis 1830.