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est-il au-dessus de toute critique ? Non, sans doute : il présente des lacunes fâcheuses et des inconséquences regrettables, quelquefois il déploie trop de rigueur, quelquefois il est trop relâché, et il laisse en dehors de son action des faits qu’il devrait atteindre ; mais les changemens accomplis prouvent qu’il n’est pas condamné à l’immobilité. On avait songé, même sous l’empire, à développer d’une façon systématique l’œuvre récemment entreprise. Nous sommes mieux placés aujourd’hui pour concilier les exigences diverses. Délivrés des appréhensions du commencement de ce siècle, nous ne sommes pas partagés sans cesse entre la crainte de tomber dans les excès des anciennes corporations et celle de rouvrir carrière aux abus d’une liberté anarchique. Les quarante dernières années d’expérience nous ont rendu familières les idées de transaction ; ces idées doivent servir de base aux lois économiques comme aux lois politiques, si on veut fonder un état de choses à la fois libre et régulier.

Que demandent aujourd’hui les théoriciens de l’organisation du travail ? Veulent-ils modifier, corriger, étendre l’ordre industriel existant ? Non ; ils ne se contentent pas de modifications partielles et graduées. Pour la plupart, ils repoussent en masse tous les élémens actuels ; ils demandent un ordre économique tout nouveau, absolument différent, et qui suppose d’abord le bouleversement complet de l’ordre social et politique. La question se trouve ainsi ramenée à des termes très simples et très clairs : nous avons un régime industriel qui est devenu l’objet d’attaques vives et nombreuses ; on en propose d’autres pour le remplacer. Dans une telle situation, que devons-nous faire ? Examiner ces divers régimes, afin de voir s’il en est un qui se concilie mieux que le nôtre avec le développement individuel et la sécurité sociale, qui soit plus avantageux pour les progrès de l’industrie et le bien-être des masses. D’un autre côté, des économistes ne se bornent point à repousser tous ces systèmes d’organisation ; ils veulent exclure absolument le pouvoir public du domaine de l’industrie. Voici donc trois partis fort distincts entre lesquels il faut choisir : adopter l’un des systèmes proposés ; rejeter toute prescription réglementaire, et, au milieu d’une société soigneusement ordonnée, laisser l’industrie et le travail en dehors des lois ; demeurer dans les termes de la liberté disciplinée sur le terrain de l’organisation actuelle, sauf les complémens et les modifications dont elle paraîtrait susceptible. Nous le dirons tout de suite, ce dernier système nous paraît le seul admissible, et.nous espérons démontrer que seul il s’accommode aux nécessités du pays ; il a pour lui l’épreuve du temps, et, s’il n’a pas enfanté les merveilles imaginaires que promettent les théories nouvelles, il a suffi, tel qu’il est, pour garantir la société contre le désordre et ouvrir à l’industrie une carrière brillante. Il se prête d’ailleurs à toutes les réformes utiles. Il s’accorde mieux que tout autre, comme les faits les plus significatifs l’ont prouvé, avec l’intérêt des classes laborieuses. Aussi avons-nous pleine confiance dans le principe libéral des institutions actuelles. Quels sont les moyens de les améliorer encore et