Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/817

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la Clélie : Pellisson était chargé de tenir registre des délibérations ; ces comptes-rendus s’appelaient chroniques du samedi[1]. On en a un extrait que chacun peut consulter dans les manuscrits de Conrart, à la bibliothèque de l’Arsenal. Si les détails que ce manuscrit renferme nous avaient été transmis par une personne étrangère à ces réunions, on croirait qu’on y a voulu ridiculiser à plaisir la société de Sapho. On y trouve le compte-rendu d’une journée célèbre dans les annales des précieuses. Le samedi 20 décembre 1653, l’assemblée étant réunie, Théodamas (Conrart), qui brûle d’une passion discrète pour la princesse Philoxène (Mme Arragonais), lui envoie un cachet de cristal avec un billet en vers. Il faut répondre, et alors s’engage une espèce de tournoi poétique et galant : Polyandre et Acante improvisent chacun un madrigal, qui est accueilli avec enthousiasme ; peu à peu l’ivresse poétique devient contagieuse, les têtes s’échauffent, les madrigaux se succèdent, se croisent avec une extrême rapidité, la plume court de main en main ; jusqu’aux valets de la maison, tout le monde fait des vers, et ces vers, que le manuscrit rapporte, sont tous plus pitoyables les uns que les autres. Enfin, d’un commun accord, on assigne à l’invincible Polyandre (Sarrazin) le prix du combat. Cette mémorable journée prit le nom de journée des madrigaux. Un extrait de ce compte-rendu serait un commentaire excellent à joindre aux Précieuses ridicules[2]. Le madrigal de Mascarille vaut bien ceux de l’invincible Polyandre.

Malgré toutes ces niaiseries, Mlle de Scudéry vivait honorée et respectée. En 1671, l’Académie ouvrit, pour la première fois, le concours pour le prix d’éloquence, fondé par Balzac : Mlle de Scudéry obtint le prix. Son discours de la Gloire est pourtant assez faible ; mais un prix fondé par un des héros de l’hôtel de Rambouillet revenait de droit à Mlle de Scudéry. Mme de Sévigné parle toujours d’elle avec beaucoup d’estime : « L’esprit et la pénétration de Sapho n’ont

  1. Ce manuscrit existe encore. « Je l’ai eu entre les mains, dit M. de Monmerqué dans sa précieuse édition de Tallemant : il fait aujourd’hui partie de la riche et curieuse bibliothèque de M. Feuillet, des affaires étrangères, de la société des bibliophiles français. Ce recueil est écrit par Conrart pour la plus grande partie. Il porte des corrections et des additions de la main de Pellisson. On y rencontre même quelques mots tracés par Mlle de Scudéry. »
  2. Ainsi qu’aux Femmes savantes. Chrysale se plaint que ses valets eux-mêmes font des vers :
    L’un me brûle mon rôt en lisant quelque histoire ;
    L’autre rêve à des vers, quand je demande à boire.