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avait fait planter des œillets, qu’il arrosait quand il y était. » Voici ces vers :

En voyant ces œillets qu’un illustre guerrier
Arrosa d’une main qui gagnait des batailles,
Souviens-toi qu’Apollon bâtissait des murailles,
Et ne t’étonne pas si Mars est jardinier.


Ce quatrain courut tout Paris.

La fronde et l’hôtel de Rambouillet, telles sont les deux inspirations dominantes de Mlle de Scudéry. On les retrouve partout dans la Clélie, qui parut après les troubles en 1654.

Comme roman, et surtout comme roman historique, la Clélie ne supporte pas même l’examen. Elle dépasse de beaucoup pour le ridicule la renommée dont elle jouit à cet égard. Le tort de Mlle de Scudéry a été de prendre ses héros dans l’histoire, et surtout dans l’histoire romaine. Au moins les héros du Cyrus, le pays où ils vivaient, les mœurs, les coutumes de ce pays, sont peu connus ; mais Brutus, Lucrèce, Mucius Scovola, Horatius Coclés ! par quelle fatalité Mlle de Scudéry a-t-elle choisi des caractères si connus, qu’elle ne pouvait que travestir étrangement ? Ne pouvait-elle pas, comme d’Urfé, choisir des héros en l’air, et peupler une contrée quelconque de bergers de son invention ? Il est vrai que la vérité du langage, l’exactitude du costume, inquiétaient fort peu les contemporains, et, dans la préface de l’ Astrée, d’Urfé répondait d’avance à ceux qui auraient pu trouver ses bergers trop élégans : « Ce qui m’a fortifié davantage en l’opinion que mes bergers et mes bergères pouvaient parler de cette façon sans sortir de la bienséance des bergers, ç’a été que j’ai vu ceux qui en représentent sur les théâtres ne leur faire pas porter des habits de bureau, des sabots, ni des accoutremens mal faits comme les gens de village les portent ordinairement. Au contraire, s’ils leur donnent une boulette en la main, elle est peinte et dorée ; leurs jupes sont de taffetas, leur panetière bien troussée, et quelquefois faite de toile d’or ou d’argent, et se contentent, pourvu que l’on puisse reconnaître que la forme de l’habit a quelque chose de berger. » Mlle de Scudéry pouvait faire la même réponse, et quand elle voyait Auguste paraître sur le théâtre avec des canons, des dentelles et une vaste perruque, elle pouvait dire également qu’il suffisait bien à Brutus et à Mucius Scoevola de porter un nom en us pour avoir quelque chose de romain.

La critique sur ce point est trop facile, et il serait puéril d’y insister long-temps : nous ne citerons que deux exemples de ces singuliers travestissemens.