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roman et qui viennent à chaque instant interrompre la suite des évènemens. Des enlèvemens, des captivités plus ou moins prolongées, des accidens romanesques, mais vulgaires dans leur étrangeté, d’interminables conversations, retardent le dénouement jusqu’au dixième volume. Cyrus, ce Cyrus qui brisait les portes d’airain, préside des assemblées d’honnêtes gens et de dames de qualité. On met sur le tapis des questions galantes ; chacun disserte à son tour ; Cyrus recueille les voix et résume les discussions. Tout cela se retrouve dans la Clélie, et comme sur un fond persan ou romain Mlle de Scudéry dessine toujours les mêmes personnages, comme ses héros ont tous un air de famille qui ne permet guère de les distinguer, nous n’insisterons pas davantage sur ce roman. En nous arrêtant un peu plus long-temps sur la Clélie, qui est comme le chef-d’œuvre du genre, et qui fit surtout la gloire de Mlle de Scudéry, nous nous trouverons avoir donné une idée suffisante de tous ces ouvrages. Ils se ressemblent si fort, que l’analyse du Cyrus serait souvent celle de la Clélie.

Notons cependant un point essentiel : au septième volume, nous voyons paraître sous des noms supposés l’hôtel de Rambouillet tout entier : Mme de Rambouillet et sa fille, sous les noms de Cléomyre et d'Élise ; M. de Montausier, Mégabyse ; Conrart, Théodamas, etc. ; Mlle de Scudéry elle-même s’y est représentée sous le nom de Sapho, qui lui resta dans la société. Ses amis y ont un rôle ou tout au moins un portrait  : c’est elle qui mit les portraits à la mode et en fit presque un genre de littérature ; on s’amusait à en composer dans les assemblées ; plusieurs nous ont été conservés : à la suite des Mémoires de Mlle de Montpensier, nous en trouvons quelques-uns. La Rochefoucauld nous a laissé le sien, Fléchier également. Je vous avoue, dit Madelon à Mascarille dans les Précieuses ridicules, que je suis furieusement pour les portraits ; je ne vois rien de si galant que cela. — Les portraits sont difficiles et demandent un esprit profond : vous en verrez, de ma façon qui ne vous déplairont pas. Les dames du temps tenaient à avoir leur portrait dans les romans de Mlle de Scudéry ; c’était comme une comédie où elles voulaient jouer un rôle. On a les clés imprimées du Cyrus et de la Clélie. Ceux qui aiment ces curiosités peuvent les lire en toute confiance. Ces clés sont parfaitement authentiques, et ne ressemblent en rien à celles de La Bruyère et du Télémaque, inventées par la malignité des contemporains. Les pseudonymes que Mlle de Scudéry donnait aux gens de sa connaissance n’étaient un mystère pour personne, et comme d’ailleurs presque