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protestantisme. C’eût été néanmoins leur intérêt qu’on les empêchât de s’exposer encore au grand jour d’une solennité si publique. Ce beau nom de concile dont ils ont décidé de parer leurs assemblées est bien pesant à porter dans ce temps-ci. Le concile de Leipsig n’a pas été précisément un modèle d’éloquence et d’union ; celui de Canstatt n’était ni mieux doué ni mieux d’accord.

Il ne faut trop s’arrêter à la mine, et cependant comment se défendre d’une sympathie tout instinctive, quand on contemple cette puissante figure de Luther, telle que Lucas Cranach la peignit si souvent ? Je vois encore ce beau tableau, qui est à Weimar : Luther au pied de la croix avec l’apôtre saint Jean et son ami Cranach ; le sang régénérateur a jailli du flanc divin, et coule sur sa tête comme pour la consacrer par un nouveau baptême : c’est la tête inspirée d’un héros. Je me rappelle l’impression que me laissa son portrait dans la petite cellule où il avait habité, au vieux couvent des augustins d’Erfurt, une pauvre cellule de moine avec une étroite fenêtre sur l’étroit préau d’un cloître où l’herbe cachait des tombes. Quelle grande physionomie ! quelle force et quelle douceur ! le plus indomptable courage et la plus inépuisable tendresse, les violences d’une nature emportée, les charmes d’un cœur délicat, un œil si ouvert et si franc, une si généreuse simplicité dans le regard et sur les lèvres ! L’abbé Ronge a fort peu de ces glorieux traits, et, si l’un lui manque plus que les autres, c’est assurément la simplicité ; il y a bien moins de bonhomie que de finesse sur son visage pâle, et on lui croirait plutôt l’esprit d’affaires que la passion du vrai. Il est actif, remuant, toujours prêt à payer de sa personne, et cependant sa pose, sa coiffure, sa mise, tout est, chez lui, prétentieux comme chez un oisif. On lui a déjà reproché la coquetterie de ses habits et de sa chevelure ; il s’en est défendu avec plus d’esprit que de sincérité. Au fait, il m’a paru, pour un Allemand, le plus élégant du monde. Cette élégance n’est pas, du reste, une condition essentielle du nouvel apostolat : les autres missionnaires seraient loin de la remplir ; ce n’est pas cela qu’ils ont gardé du maître, c’est seulement l’affectation. Chacun en use comme il peut. Je n’ai jamais rencontré de plus piètre figure plus vaniteusement drapée que celle de l’abbé Kerbler, le premier des orateurs de la propagande. J’ai passé toute une journée avec lui et ses amis sur le bateau à vapeur de Heilbronn à Heidelberg ; ils étaient fort en gaieté : Luther et ses disciples vivaient d’habitude très familièrement ensemble, mais il y avait sans doute plus de tact et moins de vulgarité dans leur abandon.