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cette intime union de l’église et de l’état qui avait été le patrimoine et la force du moyen-âge, ne pouvant pas faire que l’état abdiquât devant elle comme il avait abdiqué devant Rome, elle donna la première cet exemple funeste de mettre l’église au service de l’état. Mieux valait encore le contraire ; la dignité humaine en souffrait moins. Par quelles extrémités celle-ci dut alors passer, afin qu’il restât quelque chose de cet étrange accouplement des deux puissances où l’on voyait très sincèrement tout le salut des trônes, quelles humiliations furent imposées à la conscience des peuples, quelles violences, quelles iniquités ; c’est là l’histoire du XVIIe siècle. Les princes eurent ce terrible droit de réformation inscrit au traité de Westphalie, jus reformandi ; il s’introduisit dans le droit public ce monstrueux axiome : Ejus est religio cujus regio, et quatre fois en quarante ans les pauvres habitans du Palatinat durent changer de religion.

Le mince mérite des traités de Vienne en cette matière, ce fut de donner aux trois confessions reconnues droit de bourgeoisie, non plus seulement comme autrefois dans l’empire en général, mais dans chacune des parties de l’empire ; chaque prince s’obligea plus ou moins à souffrir trois cultes chez lui, tandis qu’auparavant il pouvait tout ramener au sien. Au fond, la différence fut petite, il y eut trois religions d’état au lieu d’une ; le système ne changea pas, et pour une bonne raison : l’état, toujours personnifié dans une volonté individuelle, toujours soustrait à cette intervention commune du peuple qui crée sa vertu et sa moralité, l’état, pour demeurer vieux en dépit de son siècle, se réfugia derrière la vieille garantie, comme si la nouvelle n’existait pas. Décidés à ne point régner par l’accord et l’action de la raison publique, les souverains exploitèrent au profit de leur autorité particulière cette grande autorité du spirituel et du surnaturel qu’ils s’étaient jadis à tout prix arrogée, parce qu’alors le monde n’en voulait pas d’autre. Ordonner l’égalité des cultes reconnus, ce n’était point décerner à l’état un caractère purement rationnel, tant que cette reconnaissance entraînait une alliance intime et nécessaire avec eux : on faisait pour ceux-là ce qu’on eût fait pour un seul, on leur demandait en retour les mêmes offices, on mettait presque toute la vie civile sous leur sauvegarde, et l’on évitait pieusement par là de lui fournir de meilleures bases politiques. C’est ainsi que les Juifs se trouvent exclus de la cité allemande, et c’est pour cela que le libéralisme allemand veut les y faire entrer ; mais la cause des Juifs n’était pas suffisamment favorable ; malgré d’incontestables progrès, ils ne sentent pas encore eux-mêmes en Allemagne, aussi bien qu’en France,