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la conscience réfléchie le droit d’être par lui-même. Malheureusement pour eux, les princes allemands ont repoussé le plus loin qu’ils ont pu ce legs impérissable de notre révolution, et, voulant garder toute l’intégrité de leur autorité personnelle, ils ont privé les peuples de cette activité souveraine hors de laquelle il n’y a plus désormais ni titre certain ni justification valable pour les gouvernemens. Il est advenu de cet isolement orgueilleux de leur majesté qu’elle a été obligée, pour se rassurer et se couvrir, d’implorer l’appui de la vieille loi sociale détruite en 89 après qu’elle avait jusque-là guidé la longue suite des âges. Ils ont toujours prétendu identifier l’église avec l’état ; ils ont encore soutenu que l’état et le culte se confondaient en une seule et même force indivisible par essence, et que l’état n’était point, s’il n’était ou païen, ou juif, ou chrétien. Dire comme chez nous : L’état, c’est l’état, un corps à part, un pouvoir distinct doué d’une vertu intrinsèque, — ils avaient raison de ne pas l’oser, car cela, chez nous, ne signifie rien de moins que le grand ensemble des idées et des vouloirs de tous, rangés sous l’ordre providentiel dont leur concours fait la justice ; mais cela chez eux n’eût rien signifié, sinon : L’état, c’est la force. Il n’y a jamais eu de tyrannie qui ait crûment divulgué son secret ; celle-ci, pour cacher le sien, résolut donc de se béatifier. C’était tout simplement continuer, avec la bonne foi de moins, un expédient déjà vieux de trois siècles. La réforme, il est vrai, lorsqu’elle rompit l’unité spirituelle, avait en principe dégagé la société civile de l’enveloppement ecclésiastique. Ce grand principe de l’avenir, Luther lui-même, au milieu des contradictions de son génie, l’avait solennellement proclamé : « On naît homme et citoyen avant de devenir chrétien. Es-tu prince, juge, seigneur ou dame ; as-tu des gens sous toi et veux-tu savoir le droit qui te revient sur eux, n’interroge pas la loi chrétienne, interroge la loi de César ou la loi du pays ; c’est celle-là qui est la règle ; tu commandes comme magistrat et non pas comme chrétien. » Mais on n’échappe pas si vite à l’empire des traditions séculaires, et le propre des novateurs, c’est souvent de croire conserver. La réforme conserva dans la pratique cette identité du temporel et du spirituel, contre laquelle pourtant elle était comme une protestation vivante, protestation stérile jusqu’au jour où l’esprit du XVIIIe siècle la traduisit dans ses œuvres. La réforme aggrava même la situation qu’elle semblait appelée à changer : elle maintenait la nécessité absolue d’un état chrétien ; ce fut le prince et non pas le prêtre qu’elle institua le ministre souverain de cette nécessité, le gardien de la foi devenue plus que jamais une obligation politique. Ne voulant pas renoncer à