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avait plus ni majorité, ni minorité ; il y avait des fonctionnaires enrégimentés, sur leurs bancs, en séance publique, dans le même ordre et sous la même discipline qu’au fond de leurs bureaux. D’aveu général et de compte réglé, sur quatre-vingt-treize députés qui forment la seconde chambre, il en était sept en tout qui passaient pour indépendans par leur position. En Wurtemberg peut-être plus qu’ailleurs, les fonctionnaires sont réellement la partie intelligente de la société, il est même juste de dire que l’opinion publique les considère fort et croit volontiers à leur probité politique ; mais plus de quatre-vingts fonctionnaires sur quatre-vingt-treize députés, en vérité c’était trop Le pouvoir parlementaire s’endort et succombe à moins. Comment allait-il sortir d’une si profonde léthargie ?

Il y a deux manières pour un gouvernement de se débarrasser de la constitution qu’il a jurée. Le plus simple, c’est de la mettre tout entière à néant et de la remplacer d’un coup à sa guise ; on réussit ou l’on ne réussit pas, mais au moins sait-on ce que l’on fait, si l’on ne sait pas toujours ce qu’on devient : c’est purement une question de force. D’aucuns, n’aimant pas à jouer si gros jeu, violent l’esprit sans tuer la lettre, et dépassent tout doucement les limites qu’ils ont l’air de garder ; le malheur est qu’il faut bien toujours s’appuyer quelque part et pencher d’un côté : on ne voulait pas donner trop à gauche, on se laisse prendre à droite ; on voulait se décharger d’un fardeau, c’est un contrepoids dont on se prive, et, faute de l’avoir, on tombe en d’autres périls, on se heurte à des écueils inconnus. En Wurtemberg du moins, ce fut ainsi que se passèrent les choses.

La chambre élective était annulée ; la première chambre pesa bientôt si fort dans la balance dégarnie, qu’elle faillit emporter tout. La charte de 1819 avait autant que possible organisé l’équilibre ; le meilleur était assurément de s’y tenir. Obligé par les traités de Vienne de garantir une grande position dans l’état aux anciens seigneurs immédiats de la Souabe autrichienne, le royal auteur de la charte wurtembergeoise avait fait de son mieux pour ne point subir la domination de cette aristocratie catho que et féodale. Et d’abord, il appela tout à côté d’elle, dans la première chambre, une aristocratie nouvelle formée du temps de l’empire par les hauts emplois de l’administration. Nommés à titre héréditaire ou viager suivant le gré du prince, et au nombre qu’il lui plaisait, choisis de préférence dans la souche protestante du vieux duché de Wurtemberg, ces représentans naturels des principes modernes venaient contrarier jusque sur leur terrain les derniers fils du moyen-âge ; ce n’était point assez pour les tenir en